L'envol des tourterelles
Montréal. Balayant de ses pensées l’attachement de son fils pour Jan, Jerzy n’avait aucun réel regret à le voir, occasionnellement, préférer Montréal. Stanislas avait ainsi découvert les plaisirs du travail en ville et Jerzy ne pouvait lui en tenir rigueur. Encore là, son fils était un vrai Pawulski, amant de la terre et citadin de cœur, comme son grand-père l’aurait certainement souhaité. Jerzy se dit qu’Anna l’avait, malgré elle, aidé à préparer leur retour à Cracovie. Stanislas était maintenant familier avec la ville. Quant à Sophie, elle était assez jeune pour n’avoir que peu de souvenirs du Manitoba.
Jerzy embraya pour aller porter les vains fruits de leur travail sur le tas de fumier. Stanislas l’aida sans regimber, mais Jerzy crut déceler énormément de déception dans le visage habituellement imperturbable de son fils.
– Qu’est-ce qu’il y a?
– Rien. Je pense à maman qui a fait les semis depuis janvier, et à toutes ces journées où nous rentrions fourbus d’avoir repiqué les plants de tomates et de concombres. Et aux autres journées passées à arracher les mauvaises herbes. Je pense de plus en plus que je ne veux pas être maraîcher.
Jerzy préféra ne rien répondre. Il ne retrouvait jamais chez son fils l’entrain que lui-même avait eu chacun desmatins où il avait ouvert les yeux chez M. Porowski. Il se disait parfois que ce plaisir venait peut-être tout simplement du fait qu’il était loin de la maison et de la routine des études. Loin des sermons historiques de son père et des discussions politiques trop compliquées du Caveau. Il fronça les sourcils en pensant que son fils était peut-être beaucoup plus heureux derrière un comptoir d’épicerie qu’à genoux dans un champ. Il repensa à Nicolas et se demanda s’il le reverrait. Quelque chose qu’il n’avait jamais identifié avait déplu à son neveu à Saint-Norbert. Il avait littéralement fui la ferme. Jerzy n’avait pas osé communiquer avec Élisabeth pour lui demander d’intervenir. Nicolas n’était jamais revenu les visiter et Jerzy le déplorait, ayant bien aimé l’esprit vif et curieux de son filleul.
– Penses-tu que ton cousin va revenir?
– Je n’en sais rien. Il ne m’en a pas parlé.
– Ton cousin est un petit bonhomme assez timide, non?
– Peut-être. Il est gentil, mais c’est un petit garçon de la ville.
Jerzy sourit devant la condescendance à peine voilée de l’aîné des deux garçons et se mentit en se disant qu’il n’avait jamais agi de la sorte avec son puîné.
18
Le matin ressemblait à s’y méprendre à un rêve. Une bruine s’était accrochée à l’air, s’y retenant par une espèce de glu invisible. Le soleil, pâlot et frêle, se levait tout doucement, caché par les arbres s’élevant derrière la grange, éclairant discrètement les branches gainées de cristal par la nuit. Le blanc était partout, ne laissant paraître que quelques taches de gris nacré ici et là, vernis de glace mince recouvrant le marron du sol aux frissons pétrifiés par le froid. Un soupir exhalé des entrailles mêmes de la terre faisait tomber des paillettes si légères qu’elles demeuraient en suspens pendant une éternité, scintillant sous le cajolement d’un rayon presque invisible.
Jerzy sortit lentement son violon de l’étui, remerciant silencieusement la vie de lui avoir presque tout rendu après le lui avoir arraché. Il sourit à son projet de retour en Pologne, sentant l’accélération des battements de son cœur. La lumière se fit plus soutenue et plus tenace, et les flocons épars cessèrent de virevolter. Le jour tentait d’apparaître. Il regarda encore une fois par la fenêtre, se disant qu’un 1 er janvier aussi séduisant annonçait certainement qu’il trouverait les mots pour soulager le trouble que certains jours apporteraient. Il accorda son violon et il commençait à en jouer lorsqu’on frappa à la porte. Du coup, il fut saisi, n’ayant pas entendule crissement de pas sur la neige, ni le gémissement des marches de l’escalier, ni le grincement du ressort gelé et des charnières de la porte. Il laissa pendre son instrument au bout de son bras et alla ouvrir, chuchotant pour bien faire comprendre que le jour n’avait pas encore vraiment mordu l’aube.
– Monsieur Pawulski?
L’homme lui avait parlé en polonais. Il répondit par un oui plus curieux qu’inquiet, mais n’entrebâilla pas davantage la
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