L'envol du faucon
petite-fille avait épousé un riche mandarin.
Mais voilà qu'un jeune officier français s'approchait de son bateau. Tuk pagaya jusqu'à ce que la proue de sa pirogue touchât la rive. Elle lui fit signe de monter. Comme il paraissait timide, elle essaya de le rassurer d'un large sourire, bien que son cœur palpitât de nervosité. Dieu merci ! il n'était pas obèse comme ceux qu'elle avait vus, aussi enflés que des buffles d'eau bien nourris. Non, celui-là était grand, mais ce n'était pas un géant, il avait des yeux couleur de ciel et des cheveux couleur de bambou écorcé. Ces farangs à la peau claire auraient-ils d'étranges habitudes ou se comporteraient-ils comme son propre peuple ? Les paroles de l'émissaire du palais, Pi
Sunida, lui revinrent à l'esprit. « Ces farangs ne sauront pas plus que vous à quoi s'attendre, prenez donc le contrôle dès le début. Car qui contrôle domine. »
Le jeune officier monta avec précaution sur le bateau et jeta un regard circulaire. Il regarda d'un air interrogateur derrière Tuk et observa sous l'auvent de toile, à l'arrière du bateau, l'épais matelas de jonc, presque une courtepointe, au milieu de coussins entassés en pyramide. Puis il contempla, fasciné, la profusion de fruits empilés à l'avant du bateau : mangoustans, jaques, pamplemousses, mandarines, goyaves, papayes, bananes, prunes vertes, sapotilles et ananas. Il sourit à la seconde batelière, presque aussi jolie que la première, qui était accroupie auprès d'eux, et prit un mangoustan dont il examina avec soin la peau rouge sombre. Tuk s'avisa soudain qu'ils n'avaient peut-être pas de tels fruits dans son pays. Plern, l'assistante de Tuk, vint à son aide : elle prit un autre mangoustan qu'elle ouvrit avec un couteau pointu. Elle lui montra à l'intérieur les délicats segments blancs et lui en détacha un. Il le renifla avec circonspection. Les deux femmes amusées sourirent, et il l'avala courageusement. Son visage montra qu'il appréciait. Plern lui en éplucha un deuxième.
Il jeta un regard aux autres bateaux. Ils n'étaient distants que de quelques pieds, et des scènes similaires semblaient prendre place sur chacun d'eux. Des batelières souriantes épluchaient et offraient des fruits pour que les visiteurs puissent y goûter. Le crépuscule descendait. Soudain, le jeune officier poussa un cri et examina son bras qu'il palpa en différents endroits. Il parut déconcerté de ne rien y trouver. Il regarda autour de lui tandis que le bourdonnement augmentait. Puis il émit un autre cri et scruta son autre bras.
Etait-il possible qu'il n'y eût pas de moustiques dans sa patrie ? Tuk avait du mal à imaginer un pays dépourvu de ces petits insectes dont les mauvaises vies antérieures les avaient amenés à se réincarner sous forme d'insectes nuisibles et de parasites qui se cachaient pendant la journée et ne sortaient que la nuit pour piquer et jouer les fléaux. Pourtant, si exaspérants qu'ils fussent, il n'aurait pas dû essayer de les écraser comme il le faisait maintenant. Ils avaient une âme comme tout le monde et l'on ne tuait pas les autres créatures vivantes. Tuk se leva, prit une natte sous l'auvent et lui fit signe de s'asseoir sur le pont à son côté. Puis elle lui prit gentiment le bras qu'il grattait et le frotta avec un peu d'huile de noix de coco. Il la regarda avec gratitude sans offrir de résistance. Il la vit allumer une bougie et la placer à son côté. Elle alluma ensuite un petit serpentin et, à son évidente stupéfaction, le bourdonnement cessa graduellement. Elle en alluma un autre qu'elle plaça près de la courtepointe. Il jeta un coup d'œil à la courtepointe puis la regarda de nouveau et sourit timidement.
Il y avait dans ses yeux un désir sur lequel elle ne pouvait se méprendre, mais elle se rappela les paroles de Pi Sunida : « Ne cédez que petit à petit. En aucun cas les farangs ne doivent soupçonner que vous êtes autre chose que des batelières. » Pourtant, l'expression de ses yeux l'excitait. Elle mourait d'envie de l'attirer sous l'auvent et de lui enlever son étrange habillement. Quelle serait la taille de sa lance d'amour ? Grande comme le reste de sa personne ? Elle était soudain dévorée de curiosité.
Les instructions reçues avaient été de ne pas céder à la première rencontre mais d'encourager les farangs à revenir le soir suivant. Mais qui savait si le même beau jeune homme reviendrait la voir le lendemain ? Et
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