L'envol du faucon
sourit. « Nous avons désormais la sanction officielle pour les mesures que j'ai déjà prises. »
Thomas écoutait très attentivement. Son esprit était en ébullition. « Et Phaulkon ? demanda-t-il avec circonspection. Est-ce qu'il rentre dans cette catégorie ?
— J'aimerais bien que ce soit le cas, dit Yale d'un ton morose, mais il se considère toujours comme un maudit Grec. Il va de toute façon se retrouver très seul une fois que nous aurons rappelé ses séides suceurs de sang. »
Thomas contempla ses pieds. Il était temps d'annoncer le pire à son frère. « Eli ?
— Oui ?
— Les choses ne se sont pas passées aussi bien que nous l'espérions au Siam.
— Ah ! bon ?
— J'ai rapporté les rubis, Eli. Ils ont été refusés par la cour d'Ayuthia. »
Le rouge de la colère monta au visage de Yale. « Refusés ? Pourquoi ?
— Les experts les ont jugés de qualité inférieure.
— De qualité inférieure ? explosa-t-il. Qui diable les a examinés ? Des aveugles ? »
Thomas hésita. « Après que les experts de la cour eurent donné leur avis, Phaulkon les a montrés à un marchand français très en vue pour avoir une seconde opinion. » Thomas hésita à nouveau. « Le Français a déclaré qu'ils étaient inférieurs à tout ce qu'on pouvait trouver à Paris. J'ai ici pour toi une lettre de Phaulkon », se dépêcha-t-il d'ajouter en fouillant dans sa poche et en lui tendant une enveloppe scellée. Frappée du sceau royal de Siam, elle avait un air très officiel.
Le gouverneur lui lança un coup d'oeil et la mit de côté. « Un Français ! répéta-t-il d'un ton clairement méprisant. De l'avis haut placé de quelque marchand français...
— Eli ?
— Quoi ?
— L'armée française est arrivée en force au Siam. Il y a maintenant cinq cents soldats dans le fort de Bangkok, sous le commandement d'un maréchal de France. Ils ont été accueillis à bras ouverts. Il y a aussi un directeur de la Compagnie française des Indes orientales et un ambassadeur plénipotentiaire de la cour de Louis XIV. »
Le gouverneur était silencieux. Un instant, on n'entendit que le bruit de ses doigts tambourinant sur le bord du bureau et, au loin, la voix perçante d'un sergent instructeur qui criait des ordres. Malgré la fenêtre ouverte, la chaleur était intense.
« Quand sont-ils arrivés ?
— Au moment même où je partais, répondit Thomas. Je crois que le secret avait été bien gardé.
— As-tu rencontré Ivatt à Mergui ?
— Non. Il y était ?
— Comme c'est étrange ! Il voyageait sur le bateau que j'ai envoyé pour te chercher. » Yale était de nouveau silencieux.
« Comment White t'a-t-il reçu ? reprit-il.
— Avec beaucoup d'hospitalité, en fait. J'ai profité du fait que j'étais au courant de l'arrivée des Français pour le sonder. J'ai insinué que Phaulkon envi-sageait de remplacer tous les Anglais à son service par des Français, d'où le secret entourant leur vrai nombre.
— Comment l'a-t-il pris ?
— Il a déclaré que Phaulkon était son associé et qu'il ne ferait jamais une chose pareille.
— N'est-il pas étrange de voir combien les coquins peuvent se montrer naïfs concernant leurs pareils ?
— Eli, poursuivit Thomas un tantinet nerveux, je suis allé plus loin que ça. J'ai laissé entendre que la Compagnie pourrait fermer les yeux sur ses activités passées s'il se montrait coopératif en aidant à nous livrer Mergui. »
Le gouverneur sourit. « Bravo, Thomas ! Eh bien, continue, comment a-t-il réagi ? »
Thomas fut envahi d'une vague de soulagement. « Cela semblait être une suggestion évidente vu les effectifs des troupes françaises. Pourquoi étaient-elles là sinon pour remplacer les Anglais ?
— Tout à fait. Et que t'a-t-il dit ?
— Il a paru suffisamment intéressé par la question de l'immunité pour m'amener à croire qu'il pourrait finalement se montrer coopératif.
— Je parie qu'il le ferait, ce renégat ! Mais les Français sont-ils réellement là pour prendre la relève des Anglais ?
— Je ne sais pas. Mais ils ne nous aiment guère, et les ambitions territoriales du roi Louis sont bien connues. »
Le gouverneur fronça les sourcils. « Ne se pourrait-il pas que Phaulkon lui-même ne se fût pas attendu à un contingent si important ? Et si lui aussi avait été pris par surprise ?
— Tu veux dire que le roi Louis envisage de s'emparer du Siam par la force ? dit Thomas,
Weitere Kostenlose Bücher