L'envol du faucon
incrédule.
— Peut-être. Quoi qu'il en soit, le moment choisi par ce diable de Phaulkon est troublant. Si nous lui déclarions la guerre maintenant, nous pourrions nous retrouver en face des armées françaises.
— Si nous lui déclarions la guerre, Eli ?
— La moitié du monde nous réclame des dédommagements et veut notre peau. Ils croient que nous sommes derrière Coates. Maudit soit son sang anglais ! » Yale s'enferma dans ses pensées. « As-tu à aucun moment eu vent de rumeurs concernant l'envoi à Mergui de l'armée française ou d'une partie de ses forces ?
— Non, le contingent tout entier semblait fermement installé à Bangkok.
— Espérons qu'il y restera. Nous devons agir vite. Nous emparer de Mergui avant que les Français ne découvrent sa valeur en tant que comptoir. Si le roi Louis a envoyé un directeur de la Compagnie française pour enquêter sur les possibilités commerciales, ce dernier ne tardera pas à découvrir que Mergui est l'endroit clé de la région. Les Français ont déjà une base plus bas sur la côte, à Pondichéry. S'ils s'installent également de l'autre côté du golfe, nous pourrions avoir de sérieux ennuis. » Yale fronça les sourcils. « Je me demande si cette fripouille de Phaulkon est tout à fait au courant de l'étendue des dégâts que ses pirates causent dans le golfe. » Il jeta un coup d'œil au calendrier qui était accroché au mur à côté d'un croquis au fusain de son petit garçon. « Ivatt devrait maintenant avoir donné mon ultimatum à Phaulkon. Combien de temps t'a-t-il fallu pour traverser le golfe, Thomas ?
— Vingt et un jours.
— Ivatt doit s'être rendu directement à Ayuthia. Donc, s'il a mis onze jours pour atteindre la capitale depuis Mergui, il aurait transmis mon message il y a environ dix jours. J'exigeais du Trésor siamois une indemnisation immédiate et intégrale. Dans l'éventualité peu probable où Phaulkon accepterait, il lui faudrait un mois de plus pour faire parvenir les fonds jusqu'ici. Dix jours se sont déjà écoulés, par conséquent si j'envoyais maintenant une frégate armée à Mergui, elle arriverait à l'expiration de l'ultimatum. Je pourrais suggérer à White et à Burnaby un autre ultimatum, déguisé bien entendu sous forme d'offre : abandon des poursuites, traversée assurée jusqu'en Angleterre et pas de questions posées au sujet de leur cargaison — si riche soit-elle — contre la remise entre nos mains de Mergui et des zones environnantes. Si nous donnions à White environ trois semaines pour y réfléchir, il semblerait que nous n'avons mis à la voile qu'après avoir accordé au Trésor siamois un délai raisonnable pour fournir le montant de l'indemnisation. » Le gouverneur sourit. « La menace que fait peser la proclamation de Sa Majesté le roi Jacques devrait constituer un encouragement supplémentaire pour rallier White à notre point de vue.
— Mais que se passera-t-il si White se tourne vers Phaulkon et les Français ?
— Ce sera trop tard en raison de la situation géographique de Mergui. Je connais bien le terrain. Il n'y a aucun moyen pour une armée, encore moins une armée européenne, d'aller de Mergui à Ayuthia par voie de terre. Tu viens juste de faire le trajet toi-même. La route suit un étroit sentier de jungle, entouré d'une végétation impénétrable et infestée de tigres, de serpents, d'éléphants sauvages, de crocodiles et de sangsues. Et il y a aussi les rivières et les rapides qu'il faut passer à gué. C'est tout juste faisable pour un petit groupe accompagné de guides et de porteurs, mais pour toute une armée étrangère ? Impossible. La seule façon pour les Français d'atteindre Mergui est d'envoyer leur flotte par une route détournée qui descendrait la péninsule malaise, doublerait le cap de Singapour, traverserait le détroit de Malacca et remonterait le long de la côte occidentale du Siam. Un voyage de six semaines au minimum. Nous pourrions être installés à Mergui en un peu moins de temps que cela et avoir encore le temps d'y installer une garnison, même si la flotte française appareillait immédiatement, ce qui est peu probable. Ils doivent être encore en train de récupérer de leur voyage. Une fois bien équipée, la ville pourrait être imprenable de la mer. Aucun bateau ne pourrait passer la barre impunément. Ils seraient à portée de tir des collines. »
Yale était visiblement excité. Il agita la clochette placée sur
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