L'envol du faucon
signifieraient rien pour les Maures, qui calculaient la date à l'aide du calendrier musulman ou bouddhiste. Au moins, le jour du mois qu'ils pourraient reconnaître était-il exact. Rodriguez tirerait ses propres conclusions.
« Vous ne devriez rencontrer aucun problème, mais si c'était le cas, vous êtes autorisé à exercer une certaine pression. Mais pas de violence. Je vous laisse vous occuper des détails. Souvenez-vous seulement qu'il me faut ce document de toute urgence. Vous devez partir sur-le-champ. Essayez d'abord le domicile du seigneur Ali. »
Rodriguez s'inclina puis parut se rappeler quelque chose. « Je passe d'abord chez moi vite, Excellence. » Il baragouinait l'anglais avec un fort accent portugais. « Je viens juste me souvenir que j'ai autre lettre à remettre à seigneur Ali.
— Une autre lettre ? De la part de qui ?
— Du seigneur Ivatt, Excellence. M. Davenport donné à moi. Lui pas avoir le temps de la remettre lui-même. Votre Excellence envoyé lui en mission. »
White resta figé sur place. Thomas Ivatt ? Quand était-il à Mergui ? Quelle lettre ? Pourquoi Ivatt n'était-il pas venu le voir ? Il ne pouvait guère paraître ignorer la visite d'Ivatt devant Rodriguez. Il aurait tout à fait l'air d'un imbécile. Il ne pouvait guère demander à voir la lettre non plus. Ce serait aller trop loin. Ivatt était après tout un de ses collègues mandarins. Au diable ce faux-jeton, cet avorton !
White regarda Rodriguez et sourit. « Bien sûr, j'avais presque oublié qu'il était venu : sa visite a été si brève ! Je n'ai même pas eu le temps de le recevoir. Il est bien reparti, n'est-ce pas ?
— Oui, Excellence. Une semaine déjà. M. Davenport s'occuper de tout. Comme vous dites, le seigneur Ivatt très pressé.
— Parfait, Rodriguez. Vous feriez mieux de partir maintenant. A propos, le document que vous portez ne doit être montré à personne, absolument personne. Vous aurez une récompense spéciale si vous me rapportez les trois signatures. »
Rodriguez eut un large sourire. « Merci, Excellence.
— Et dites à l'homme de garde que je veux voir M. Davenport dès son retour. »
Rodriguez s'inclina et partit. White attendit deux ou trois minutes. Puis il se leva et entreprit de briser systématiquement tout ce qui lui tombait sous la main. Seule la boîte à bétel en argent, cadeau de Sa Majesté le roi, fut épargnée. Puis, en partie calmé, il se rassit. Il ne pouvait rien faire en ce qui concernait Ivatt, mais il enverrait Davenport pourrir en enfer — ou du moins dans ce qui y ressemblait le plus : la prison de Tenasserim. Oui, c'était l'endroit qui convenait à ce misérable faux-jeton, jusqu'à ce qu'il eût décidé de la meilleure façon de se débarrasser de lui pour de bon. White se soucia ensuite des préparatifs de la réception spéciale qu'il entendait donner ce soir-là au capitaine Weltden et à ses officiers.
A quelque cinquante lieues en amont de Tenasse-rim, Thomas Ivatt regardait ses rameurs sauter adroitement du bateau pour le guider sans dommage au milieu des rochers qui affleuraient à la surface des eaux peu profondes et tourbillonnantes. Bientôt, ils atteindraient la fin de la partie navigable du fleuve où les rapides prenaient le relais, et il faudrait continuer à dos d'éléphant pour négocier les sentiers tortueux, envahis de végétation, qui serpentaient à travers la jungle de l'isthme étroit menant au golfe du Siam. A moins d'imprévus, il serait à Ayuthia dans deux ou trois jours. Il lui fallait atteindre Phaulkon au plus vite pour le prévenir de la capture du Sancta Cruz par White et de ses plans de départ, sans parler des mesures de Yale pour mettre en vigueur l'édit du roi Jacques et de son propre engagement à voir arrêter White.
Il avait décidé de traverser Mergui rapidement et discrètement sans même rencontrer Davenport. S'il avait tenté de le voir, sa présence au port aurait pu attirer l'attention de Sam White, et c'était ce qu'Ivatt voulait éviter. Après tout, il se rendait à Ayuthia pour obtenir un mandat d arrêt contre lui. Mais, au port, il était tombé par hasard sur Davenport. Et quel coup de chance ç'avaii été, étant donné la nouvelle que le secrétaire avait à lui communiquer !
Ivatt avait eu moins de chance avec le mot qu'il avait griffonné à l'intention des Maures du conseil des Cinq. Il était juste en train de le remettre à Davenport quand Rodriguez avait fait son apparition.
Weitere Kostenlose Bücher