L'envol du faucon
grouillants d'activité, près de l'embouchure du fleuve Tenasserim. Il loua Dieu pour les excellents stocks de bois de construction de la région et pour le talent des menuisiers et des charpentiers indigènes, grâce auxquels sa flotte s'accroissait régulièrement. Comme il aimait son petit domaine et le pouvoir qu'il y détenait — même si, bien entendu, rien ne pouvait se comparer à l'honneur et au prestige d'être un important gentleman-farmer en Angleterre ! Mais pour bien vivre en Angleterre il fallait de l'argent, beaucoup d'argent. Avec un peu de chance, il en aurait bientôt amassé plus qu'assez. Il deviendrait dans son pays natal une force avec laquelle il faudrait compter, et les gens l'écou-teraient comme ils écoutaient son frère. Ce n'était pas qu'il n'aimât plus le Siam ou éprouvât de la nostalgie — il s'était bien adapté au pays : il avait même appris quelques mots de la langue, et il ne souffrait pas de la chaleur comme tant de ses compatriotes. Les environs offraient les activités les plus agréables. Les forêts de l'île regorgeaient de cochons sauvages et la pêche était incomparable. Mais un homme se devait de s'élever dans ce monde, de gravir les échelons de la vie jusqu'au sommet.
Davenport fit son entrée dans la véranda.
White tourna brièvement la tête pour observer son secrétaire. « Ah ! Francis. »
Francis Davenport, Bostonien de naissance, venait des colonies d'Amérique. Il était grand et dégingandé avec des yeux gris au regard farouche. Ses cheveux châtains ébouriffés et ses vêtements mal coupés lui donnaient un air perpétuellement débraillé et distrait. Son apparence pourtant donnait une fausse idée de ses méthodes de travail soignées, en particulier de ses notes méticuleuses qui en peu de temps avaient fait de lui un élément indispensable de la vie quotidienne et des plans de White. Il avait récemment échappé à l'esclavage en Birmanie contre rançon. Alors qu'il rentrait en Inde, où il était employé de la Compagnie anglaise des Indes orientales, son bateau avait été capturé au large de la côte de Pegu par un des capitaines de White. Le bateau sur lequel il se trouvait ramenait des marchands hindous à Madras, et si ces derniers avaient tous été capables de régler leur dû sur-le-champ, l'impécunieux Américain avait été ramené à Mergui où on l'avait « persuadé » d'offrir ses services à White en guise de paiement.
Davenport était un homme instruit qui s'y connaissait entre autres en comptabilité. En lui offrant un salaire substantiel, dont il gardait la moitié à titre d'« investissement » — la raison principale était de l'empêcher d'accumuler suffisamment de fonds pour pouvoir rentrer chez lui —, White l'avait sous de faux prétextes amené à rester à Mergui pour être son secrétaire. La détention de Davenport présentait l'avantage supplémentaire de lui interdire de faire à Madras des révélations de première main sur les actes de piraterie dont il avait été le témoin. White avait beau être conscient des objections du Bostonien à ses excès de conduite, il sentait que l'homme était, encore qu'à contrecœur, attiré par son extravagance. L'acquisition de Davenport était l'une des plus astucieuses mesures que White eût prises.
Gêné, Davenport se dandinait d'un pied sur l'autre et fixait la nuque de son maître. White semblait avoir oublié sa présence. Il ne prit la parole qu'au bout d'un assez long moment.
« Francis, j'ai l'intention d'aller en Angleterre voir mon frère au cours des mois prochains. Je voudrais que vous veilliez à ce que le Resolution soit mis en cale sèche pour une inspection minutieuse de la carène. Une fois l'opération terminée, il ne devra pas quitter le port.
— Très bien, mon Seigneur », dit Davenport, s'adressant à la nuque de White.
C'était à coup sûr une nouvelle intéressante. Mais si White projetait de partir, quelle serait exactement sa situation ? Il serait totalement exposé aux attaques, à moins de trouver très vite un moyen de sauver sa position. Il décida alors de se tirer des griffes de White avant que ce dernier ne l'entraînât dans sa chute.
Son sang se figea quand White se retourna soudain pour lui faire face. « Vous avez l'air un peu pâle, Francis. Vous devez vous faire trop de souci. Vous devriez apprendre à vous détendre. Envoyez-moi Aung Min, voulez-vous ? A moi non plus, un peu de relaxation ne ferait pas de mal. »
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