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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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plus tard, auprès d’un homme fort respecté de
la ville, un libraire-astrologue qui tenait boutique dans le voisinage de la
Grande Mosquée des Karaouiyines. Il nous reçut à l’étage, dans une salle qui n’avait
pour tout mobilier que des livres aux murs et une natte au sol, et tint à
préciser, dès notre arrivée, qu’il n’était ni magicien ni alchimiste, mais qu’il
cherchait seulement à lire les signes envoyés par Dieu à ses créatures. À l’appui
de ses dires, il cita des versets du Livre :
     
    Il y a sur la terre des signes, pour ceux dont
la foi est solide.
    Il y en a aussi en vous-mêmes, ne les
voyez-vous pas ?
    Il y a dans le Ciel les biens qui vous sont
destinés
    Et aussi ce dont vous êtes menacés.
     
    Nous ayant ainsi rassurés sur sa foi et son
honorabilité, il nous demanda de nous écarter jusqu’à l’extrémité de la pièce,
enroula la natte et, à l’aide d’une craie, traça sur le sol plusieurs cercles
concentriques. Il dessina dans le premier une croix, aux extrémités de laquelle
il nota les quatre points cardinaux et à l’intérieur il écrivit le nom des
quatre éléments. Il partagea ensuite le second cercle en quatre quadrants, et
chaque quadrant en sept parties, soit vingt-huit parties, dans lesquelles il
inscrivit les vingt-huit lettres de l’alphabet arabe. Dans les autres cercles,
il plaça les sept planètes, les douze mois de l’année latine et divers autres
signes. Cette opération, appelée zairaja, est longue et compliquée, et
je ne me serais souvenu d’aucun détail si je ne l’avais vue s’accomplir trois
fois devant mes yeux. Je regrette simplement de ne pas avoir appris à la faire
moi-même, car de toutes les sciences occultes, c’est la seule dont les
résultats soient indiscutables, même aux yeux de certains ulémas.
    Après avoir terminé son dessin, l’astrologue
demanda à ma mère ce qu’elle cherchait. Il prit une à une les lettres de sa
question, nota leur valeur numérique et, par un calcul fort compliqué, retrouva
l’élément naturel auquel correspond chacune des lettres. Au bout d’une heure de
griffonnage, sa réponse nous arriva sous forme de vers :
     
    La mort va passer, puis les vagues de la mer,
    Alors reviendront la femme et son fruit.
     
    Ma mère était si troublée que sa parole s’étouffa,
et que l’homme chercha à la calmer :
    « Quand on veut connaître l’avenir, on doit s’attendre
à croiser parfois la mort. N’est-elle pas au bout de chaque
destin ? »
    Salma trouva la force de répliquer, tremblante,
suppliante presque :
    « Au bout, sans doute, mais là, c’est au
début de la prédiction qu’elle apparaît. »
    Pour toute réponse, l’homme leva les yeux et les
paumes vers le haut. Plus un mot ne sortit de sa bouche, et quand ma mère voulut
le payer, il refusa d’un geste sans appel.
     
    *
     
    C’est la quatrième visite qui perdit Salma. Il s’agissait
cette fois d’un de ces individus qu’on appelle à Fès les mouazzimin, réputés pour la chasse aux démons. Ma grand-mère, Dieu la prenne en miséricorde !
avait fait l’éloge de cet homme, qui avait résolu, disait-elle, mille affaires
bien plus compliquées que la nôtre. De fait, il était si couru que nous dûmes l’attendre
deux heures dans son antichambre, le temps qu’il ait fini avec six autres
clientes.
    Dès que Salma lui eut exposé son cas, il arbora un
sourire condescendant, lui jurant qu’avant sept jours son problème serait
oublié.
    « Ton cousin a dans la tête un diable
minuscule qu’il faudra chasser. S’il était ici, je le guérirais séance tenante.
Mais je vais te transmettre le pouvoir de l’exorciser toi-même. Je t’apprendrai
une formule, que tu réciteras au-dessus de sa tête pendant son sommeil, ce
soir, demain et après-demain ; je te donne également cette fiole de
parfum. Tu en verseras une goutte en prononçant chaque formule. »
    Le premier soir, mon père dormit chez Salma, et
elle n’eut aucun mal à réciter sa formule et à verser sa goutte d’élixir. Dès
le deuxième soir cependant, il arriva ce que tout être sensé aurait pu deviner.
Mohamed était auprès de Warda, et ma mère se glissa en tremblant dans leur
chambre. Elle s’apprêtait à verser le liquide, quand la concubine poussa un cri
strident, lorsque mon père se réveilla, et d’un geste de défense saisit son
frêle agresseur par le tendon. Salma tomba à terre en sanglotant.
    Voyant la fiole dans

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