Les Amazones de la République
traditionnel débat télévisé dâentre-deux-tours de lâélection présidentielle, sous les regards dâune arbitre attentive, Michèle Cotta. Personne, parmi les journalistes politiques, ne pouvait se targuer, à lâépoque, de connaître mieux quâelle les ressorts les plus secrets et les failles les plus intimes de ces deux animaux. Certains, devant leur poste de télévision, ont cru voir, ce soir-là , une pointe dâespièglerie dans lâÅil de celle dont la tête épousait le rythme dâun balancier pendulaire, oscillant de lâun à lâautre. Comme deux marionnettes, posées de part et dâautre dâune table, quâelle aurait tenues de sa main par dâinvisibles filsâ¦
Chapitre 9
LâÃlysée à la nuit tombée
Quand ce 10 mai 1981, François Mitterrand franchit les derniers mètres dâun pont dâArcole au bout duquel se dessinaient les lourdes grilles du palais de lâÃlysée, il est une femme qui traînait sa tristesse comme un cabas trop lourd dans les rues de Paris : Anne Pingeot. « Ce fut le pire jour de ma vie », glissera-t-elle un matin de 2011 à la journaliste du Nouvel Observateur , Ariane Chemin, se remémorant les heures qui sâégrainaient ce fameux dimanche de mai, dans un compte à rebours maléfique : une élection lui faisait concurrence et celle-ci allait lui enlever lâêtre aimé. Pulvérisés par ce scrutin, tous ses rêves sâenvolaient. Et celle qui avait donné naissance, sept ans plus tôt, à une petite Mazarine sâinterrogeait sur ce quâil allait advenir de ce secret : de « leur » secret.
De politique, Anne Pingeot ne parlait plus que pour la maudire. Et de lâÃlysée, comme dâune zone érogène, dâun centre de gravité où se concentrent toutes les ambitions et les vanités. Mitterrand au pinacle ? On allait voir se prostituer sur les trottoirs de la gauche légion de courtisans capables de toutes les bigoteries. Ici, des comédiens, des écrivains, des journalistes, revenant de chez Lipp ou de Chez Edgard, prêts à faire le tapin, après quâun souteneur â futur ministre ou conseiller de lâombre â, les aurait introduits, moyennant quelques salamalecs et un repas dans lâune de ses cantines. Là , des courtisanes aux pedigrees divers â le sourire perpétuellement chargé et le décolleté accueillant â, prêtes à tout pour approcher les antichambres du locataire dâun Château, que certaines confondront avec le manoir du polygame de Playboy , Hugh Hefner.
Et câest noyée dans une foule en liesse quâAnne Pingeot, restée à quai, assiste au triomphe de celui qui sâapprête à entamer une longue traversée présidentielle. Avant que ce dernier ne somme Laurence Soudet â à lâépoque, le pendant féminin de François de Grossouvre et lâépouse de celui qui deviendra P-DG de Paribas, René Thomas â de lui « amener Anne » dans les étages du PS, rue de Solferino. Où Mitterrand sable le champagne : en route vers son Vatican.
LâÃlysée, cette cathédrale du pouvoir quâil faut avoir vu un jour : où tout visiteur se voit interdire de fouler le gravier de la cour, comme sâil sâagissait dâune plage, dont seul le monarque a le droit de souiller le sable de ses pas.
LâÃlysée, encore : où même les pigeons, plantés sur les corniches, bombent le torse, comme habités par la grâce dâun lieu unique.
LâÃlysée, toujours : cette maison tout à la fois dense et légère, inquiète et joyeuse, sérieuse et insouciante. Une sorte dâoxymoron multifacette.
LâÃlysée, enfin : dont on grimpe le perron avec ostentation, avec le sentiment dâêtre toujours le premier à en franchir le seuil, avant de sâengouffrer dans les dédales dâun édifice labyrinthique.
Ce bâtiment, en effet, nâest quâune suite de coursives biscornues, dâescaliers escarpés et de petits couloirs étroits jalonnés de bureaux exigus et de salons à la lumière tamisée. François Mitterrand semblait en connaître la cartographie jusquâau bout des doigts.
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