Les Amazones de la République
Laissez-moi au moins poser ma valise. » « Câest hallucinant, confia-t-elle aux deux journalistes qui lâavaient raccompagnée à son hôtel, il ne peut pas se passer de moi ! Il ne peut pas me lâcher une seconde. Il veut toujours savoir où je suis. Avec qui je déjeune ou dîne. Là , par exemple, je vais être obligée de le rappeler pour lui expliquer quelle a été ma soirée. Avec qui jâétais. Et la liste des gens que jâai rencontrés. Vous, Catherine, et vous, Florenceâ¦Â » Alors que George Bush lâentremettait sur les questions du Moyen-Orient et que Tony Blair lui parlait politique monétaire, Chirac pistait celle à laquelle il avait lié son destin. Mais dont il avait aussi saccagé des pans entiers de lâexistence, multipliant les parties dâoreillers aux quatre coins du globe. Pile, un mari prévenant et délicat, battant quand il fallait sa coulpe devant une épouse défaite et relevant les compteurs. Face, une bête de concours aux rendements surhumains, que son appétit débordant embarquait dans des parties de « jambes en lâair » parfois chaotiques.
Chirac marchait ainsi dâun pas flâneur dans les allées dâune vie parsemée de conquêtes. Jusquâau jour où la foudre sâabattit sur notre beau bourdon et son complice. Sâil ne fut pas rare que Bernadette et Jacques Chirac aient quelques solides explications de gravures, cette algarade tint son rang sur lâéchelle de Richter dâune épouse en éruption : Quelle soufflante !
« Restez là , monsieur Laumond, je vous interdis de quitter cette pièce ! » Le dos de lâintéressé se fit tout rond, quand lâépouse de Jacques Chirac le stoppa net dans sa tentative dâexfiltration dâune pièce, où la foudre venait de sâabattre. Passé à la question, notre chauffeur dut se multiplier en contorsions pour ne pas plonger Jacques Chirac dans une situation encore plus délicate quâelle ne lâétait déjà .
Si jouer les benêts et tricoter des histoires à dormir debout, pour sauver « le patron » étaient en général dans ses cordes, Laumond se sentit, ce jour-là , à court de plaidoirie, un peu sec, face à celle dont le réquisitoire pulvérisa les dernières défenses dâun Chirac battant en retraite, le regard las. Son sens de lâintuition lui souffla, ce jour-là , de se tenir plutôt à carreauâ¦
Trois décennies plus tard, Laumond confie avoir gardé en mémoire cet épisode, qui vit Bernadette Chirac ruer dans les brancards comme rarement. Jusquâà menacer de faire ses valises, « sur-le-champ ! ». Laumond, pour sa part, en tira un enseignement définitif : sauf à finir broyé par cette famille à laquelle il vouait une dévotion déclinante, il lui fallait sâéloigner, dare-dare, de ce chaudron. Lâabnégation avec laquelle il avait servi Chirac, comme peu, lâavait entraîné au-delà des limites du raisonnable. Et Bernadette, quâune dernière lame venait de déposer sur une plage dâhumiliation, sâapprêtait à sonner la fin de la partie.
« Il fallait que cela se termine, en convient lâimpétrant. Je vivais la vie de quelquâun qui avait volé la mienne. Je ne mâappelais plus Jean-Claude Laumond. Je nâétais plus pour tous et pour moi, y compris, que le chauffeur à Chirac . En vacances, on mâappelait le chauffeur à Chirac. Quand jâallais dîner avec mon épouse, au restaurant, on disait : « âTiens, voilà le chauffeur à Chirac  !â Ayant perdu toute identité, toute personnalité, je nâétais que lâombre et le chaouch dâun homme, qui mâaura fasciné, mais dont il me fallait absolument, une question de survie, divorcer », acheva-t-il, avec le ton de lâamant dupé, que le giton congédie après une longue et belle histoire dâamour en trompe lâÅilâ¦
Deux mille cinq cents heures de vol et plus de deux millions de kilomètres parcourus à ses côtés, plus tard, Jean-Claude Laumond recouvrit son nom. Et une identité.
Mais à quel prixâ¦
Entendu à plusieurs reprises par les juges dâinstruction en charge
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