Les amours blessées
parvenir à mes fins, je ne pouvais faire autrement que de me rendre chez lui ainsi qu’il m’y avait invitée. L’entrée de Courtiras lui demeurait interdite tant que Jean y résiderait ou risquerait d’y revenir à l’improviste. La présence de Cassandrette rendait en plus tout rendez-vous impossible dans le voisinage. Je me vis donc obligée, alors que mes intentions étaient pures, de rechercher un moyen détourné de me rendre à Vendôme sans éveiller les soupçons de mon entourage, tout comme si je m’étais trouvée coupable !
J’eus alors une idée. La mode des gants de peau commençait à faire fureur. Si on en portait depuis toujours, on n’avait jamais encore éprouvé un tel engouement pour cet accessoire vestimentaire. Sans avoir atteint le degré de folie qui conduit de nos jours Henri III à en enfiler dans la journée deux paires l’une sur l’autre, dont une ointe de parfum à la violette ou au muguet et doublée de satin incarnadin, ainsi qu’à mettre pour dormir des gants cosmétiques imprégnés d’un mélange de cire vierge et de saindoux, les élégants du temps de Charles IX ne sortaient néanmoins jamais les mains nues. De ce fait, des fabriques gantières s’étaient installées dans plusieurs provinces. Blois et Vendôme rivalisaient justement d’ingéniosité dans la confection de ces parures. J’avais donc été amenée à me rendre fort souvent chez une marchande de Vendôme spécialisée dans la vente des plus beaux spécimens de gants, mitaines, gantelets, maniques, qu’on pût imaginer. C’était une bonne personne, obligeante et joviale.
Elle se nommait Antoinette Marteau et ne semblait pas être pourvue d’une vertu bien farouche. Participer à une intrigue ne devait pas la gêner le moins du monde.
Je lui fis donc porter par Guillemine un billet où je lui demandais de m’écrire en prétextant la nécessité de venir essayer des gants de chevreau dont le cuir, travaillé selon un secret connu de peu de fabricants, était rendu si fin et si souple qu’on pouvait en enfermer une paire dans une coquille de noix ! Bien entendu, on ne les confectionnait que sur mesure.
Comme je m’y attendais, Guillemine me rapporta une lettre tout à fait vraisemblable. Je la montrai à mon mari qui ne fit pas de difficulté pour me laisser partir en compagnie de ma servante.
Dès le lendemain, je pris la route pour gagner Vendôme. Enveloppée dans une ample cape de velours, masquée de satin noir, je ne risquais guère d’être reconnue.
Averti en même temps que la gantière par un autre message, Pierre m’attendait. Il avait gardé en location la maison que je lui avais jadis procurée et y revenait parfois.
Quand je soulevai le marteau de cuivre qui allait m’annoncer, je me voulais ferme et tranquille. Mes jambes défaillaient pourtant sous mon vertugade de taffetas vert.
La porte s’ouvrit.
— Vous êtes toute pâle, Cassandre, remarqua Pierre.
Comme il le faisait autrefois, il avait dû se tenir derrière le vantail afin de m’ouvrir lui-même pour ne laisser à personne d’autre le soin de m’accueillir.
— Vous l’êtes tout autant, dis-je en m’efforçant de prendre un ton léger.
Je ne devais pas me laisser troubler par le charme insidieux des souvenirs. Je n’étais pas venue pour remettre mes pas dans mes pas. Je me trouvais rue Saint-Jacques dans le but de faire admettre au seul être qui m’eût jamais séduite, à un homme dont la sensualité était impérieuse que je l’aimais toujours mais qu’il nous faudrait désormais vivre cet amour ainsi qu’une amitié…
Laissant Guillemine à l’intérieur du logis, Pierre m’entraîna dans le jardin feuillu situé derrière sa maison, en bordure d’un bras du Loir. Nous nous assîmes sur un banc, à l’abri d’un sureau aux ombelles blanches, au bord de l’eau.
Il faisait doux sous un ciel où glissaient paisiblement de beaux nuages semblables à des édredons de duvet ; l’air sentait l’eau tiédie, l’aubépine et la fade odeur du sureau épanoui.
— Fasse l’amour que ce nouvel avril m’apporte enfin le bonheur dont je n’ai pas cessé de garder la nostalgie, commença Pierre en s’emparant d’une de mes mains qu’il baisa. J’ai tant langui de vous durant ces années d’exil où vous m’avez tenu implacablement à l’écart !
— Je vous en ai beaucoup voulu, mon ami, beaucoup. Mais ces temps sont révolus. Vous vous doutez bien que si je suis ici à
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