Les années folles
Cournoyer alla lui ouvrir.
– Bonjour, madame.
Je suis Hortense Dagenais, la cousine de madame Pouliot. Je viens pour la place
de cuisinière.
– Si vous
voul ez vous asseoir, je vais prévenir monsieur le
curé de votre arrivée, dit Agathe.
La
vieille servante fit passer Hortense Dagenais dans la salle d’attente tout en l’examinant.
La cousine était bien mise et avait un visage sympathique. Le curé Lussier ne
parla à la veuve Dagenais que quelques minutes, le temps de l’informer des
exigences du travail de servante au presbytère et des gages qui lui seraient
payés. Peu après, il introduisit la visiteuse dans la cuisine en disant :
– Madame
Dagenais, vous connaissez déjà madame Cournoyer. Elle a accepté de rester
quelques jours de plus au presbytère pour vous mettre au courant de ce qu’il y
a à faire.
La
nouvelle arrivée adressa à la ménagère du curé Lussier un sourire chaleureux et
le prêtre quitta la pièce. Dès la fin de la première journée, Agathe Cournoyer
sut que le curé de Saint-Jacques-de-la-Rive avait mis la main sur une ménagère
depremier ordre, au caractère agréable et d’une très grande discrétion. De plus,
elle était d’une propreté méticuleuse, ce qui n’était pas pour déplaire ni à la
vieille dame ni au curé.
Ce soir-là, après
avoir lavé la vaisselle du souper et dressé la table du déjeuner du lendemain, Agathe,
curieuse, ne put s’empêcher de demander à sa remplaçante :
– Où est-ce
que vous allez rester ? Chez votre cousine ?
Pendant
un bref moment, Hortense Dagenais eut l’air peu embarrassé.
– Je pense
que je n’aurai pas le choix, finit-elle par répondre. Hélèna a été assez fine
pour me le proposer, mais je sens que je vais la déranger pas mal. Vous le
savez comme moi, madame Cournoyer, à nos âges, on a nos petites habitudes et c’est
pas nécessairement agréable voir quelqu’un sur le dos , même quand c’est une cousine.
– Si ça vous
le dit, vous pouvez venir rester à la maison, proposa la vieille ménagère. Je
reste dans la petite maison blanche, en face du presbytère. Ça vous ferait pas
loin pour venir travailler ; en tout cas, pas plus loin que si vous
restiez chez madame Pouliot.
Hortense
Dagenais n’hésita que quelques secondes avant d’accepter.
– Vous êtes
bien fine, madame Cournoyer. J’accepte a la condition que si un jour je vous
dérange, vous ne vous gênerez pas pour me le dire. Je vais comprendre. Je veux
surtout pas m’imposer.
– Inquiétez-vous
pas, je suis pas gênée, dit en riant Agathe. Je pense que la vie va être pas
mal moins plate avec de la compagnie. Avant, j’avais Gabrielle, la jeune servante,
mais elle s’est mariée il y a trois semaines.
– Pour ça, il y a pas de danger que
ça m’arrive, reprit Hortense Dagenais avec un mince sourire. À mon âge, j’ai
pas envie de remplacer mon défunt mari. On a été mariés trente ans. Bon. Je
vais aller dire un petit bonsoir à Helèna et je viens vous rejoindre ch ez vous .
Les deux femmes
sortirent ensemble du presbytère et traversèrent la route. Pendant qu’Agathe
Cournoyer se dirigeait vers sa maison, Hortense Dagenais, portant son grand sac
en tapisserie, entra dans l’épicerie de sa cousine où elle ne sortit qu’une
bonne heure après. Pendant ce temps, la vieille cuisinière avait préparé l’ancienne
chambre occupée par Gabrielle Paré.
– J’espère
que je le regretterai pas, dit-elle à mi-voix en allumant la lampe à huile
placée sur sa table de cuisine.
La vieille dame
faisait allusion à l’orpheline qu’elle avait accueillie chez elle, aimée et
conseillée comme si elle avait été sa propre fille. Depuis son mariage, l’ingrate
n’avait pas une seule fois donné signe de vie. Plus encore, elle semblait l’éviter
puisque Agathe ne l’avait aperçue qu’une fois, le lendemain de son mariage, à
la grand-messe du dimanche matin. Depuis, elle allait à la basse-messe et elle
n’avait pas trouvé une seule minute pour venir lui rendre visite. C’était comme
si la cuisinière appartenait au passé de la nouvelle madame Fournier, comme si
elle n’existait plus.
Agathe n’aurait pas été étonnée d’apprendre que la Gabrielle se conduisait
d’une façon aussi étrange avec tous ses nouveaux voisins qui s’étaient pourtant
donné passablement de mal pour l’accueillir. À aucun moment, la jeune femme n’avait
été tentée de se lier avec l’une ou
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