Les années folles
l’autre de ses voisines du rang
Sainte-Marie.
En fait, quand
Germain avait fait remarquer à sa femme la nécessité d’aller remercier les
voisins pour le repas de noces improvisé qu’ils leur avaient offert, Gabrielle
lui avait répondu sèchement qu’ils n’avaient pas de temps à perdre à voisiner.
La première moitié
du mois de juillet 1923 fut exceptionnelle. Personne ne se serait permis de
douter que la plus belle saison de l’année était vraiment commencée. La nature
offrait des jours lumineux et torrides en ce premier mois de l’été. Les cultivateurs
profitaient largement d’un soleil qui ne se couchait que bien après vingt et
une heures pour abattre le plus de travail possible. Les fraises et les
framboises étaient aussi abondantes que succulentes, grâce aux quelques ondées
bienfaisantes qui avaient eu le bon goût de ne tomber que la nuit depuis la
mi-juin.
Depuis quelques
jours, les écoles de rang de Saint-Jacques-de-la-Rive avaient fermé leurs
portes après que les institutrices eurent fait le ménage de leur classe et de l’appartement
de fonction qu’elles habitaient à l’étage. Pour la première fois depuis de
nombreuses années, Wilfrid Giguère, maire et aussi président de la commission
scolaire, était parvenu à engager toutes les enseignantes dont il aurait besoin
au début de l’année scolaire suivante.
Il régnait aussi
une activité inhabituelle devant la forge d’Adélard Crevier, au village. L’ingénieur
Gendron avait fait édifier une petite remise sur la rive de la Saint-François
et il surveillait attentivement le travail de deux arpenteurs qui mesuraient et
posaient des jalons, sous l’œil de quelques vieux désœuvrés du village.
Chez les Tremblay,
Thérèse s’était réjouie de pouvoir enfin compter sur l’aide additionnelle d’Aline,
de Lionel et de Jeannine pour la cueillette des fraises. Tout laissait prévoir
que la récolte des petits fruits rouges et sucrés allait être remarquable. Depuis
le début de juillet, les plus jeunes, sous la direction de Gérald, cueillaient
des fraises une bonne partie de la journée pendant que Thérèse, Claire et Aline
équeutaient les fruits et les faisaient cuire pour en faire de la confiture. Lorsqu’une
vingtaine de pots eurent été alignés sur l’une des tablettes du garde-manger, la
mère décréta :
– Ça va faire
pour les confitures.
– Qu’est-ce
qu’on va faire avec le reste des fraises, m’man ? demanda Claire. Il reste
encore trois ou quatre rangs à ramasser.
Ce soir-là, Eugène
se berçait paisiblement sur le balcon pendant que les femmes de la maison
finissaient de sceller avec de la paraffine les derniers pots de confiture. Il
avait un peu de mal à accepter que son fils aîné épouse une Veilleux. Il n’avait
rien à reprocher à la jeune voisine, mais il aurait préféré que son fils
choisisse une autre fille que celle de son pire ennemi. Et puis, avait-il vraiment
son mot à dire dans cette histoire-là ? Clément était majeur. Il pouvait marier
qui il voulait. En tout cas, pour sa part, il craignait que ce mariage-là
engendre toutes sortes de tiraillements.
– Qu’est-ce
que t’en penses, Eugène ? demanda Thérèse, debout derrière la
porte-moustiquaire.
– Quoi ?
Qu’est-ce qu’il y a ? fit son mari, tiré brusquement de ses pensées.
– Ça fait
deux fois que je te demande ce qu’on va faire avec le reste des fraises qui
sont dans le champ.
– On les
gaspillera pas. On va aller les vendre à Pierreville.
– Céline
m’a dit hier que les Veilleux en avaient de trop, eux autres aussi, fit remarquer
Clément en s’approchant du balcon. Vous trouvez pas, p’ pa, que ce serait une bonne idée si on se
mettait avec les Veilleux pour aller faire du porte-à-porte à Pierreville ?
– Il en est
pas question, se contenta de répondre son père. On est capables de s’occuper
tout seuls de nos affaires.
Le lendemain, Eugène
décida d’aller à Pierreville l’après-midi même, après avoir chargé dans une
voiture des paniers de fraises que les membres de la famille avaient cueillies.
Lorsqu’il revint à l’heure du souper, il ne restait plus rien à vendre au
cultivateur, très satisfait d’avoir pu amasser un peu d’argent. Comme la
cueillette des fraises s’était poursuivie durant son absence, il choisit de tenter
la même expérience à Nicolet le lendemain avant-midi.
– Demain, tu vas venir avec moi, dit-il à
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