Les années folles
pas
obligé de te presser, fit Thérèse Tremblay. Clément l’a déjà commencé.
– As-tu
appelé Sam ? lui demanda sa sœur.
– Oui. Il va
arriver demain matin.
Le jeune cultivateur n’ajouta pas un mot de plus. Il alla changer de
vêtements. Lorsqu’il sortit de la maison quelques instants plus tard, Yvette
Veilleux le regarda par la fenêtre se diriger, l’air accablé, vers l’étable où
on entendait les vaches meugler.
Avant
le retour de Germain de l’étable, les deux voisines décidèrent d’un commun
accord de retourner chez elles parce que Florence Fournier n’avait apparemment
plus besoin d’elles. Elles lui promirent toutefois de revenir au début de la
soirée pour veiller la morte.
Un
peu après dix-neuf heures, ce soir-là, les Fournier les virent arriver à pied
sur la route poussiéreuse, accompagnées de leurs filles Céline, Claire, Anne et
Aline. De toute évidence, les mères et les filles avaient fait des frais de
toilettes et avaient apporté de la nourriture pour les visiteurs : quelques
tartes et un gâteau. Rita Hamel arriva peu après. Elle apportait un pudding aux
fraises qu’elle avait recouvert d’une serviette propre.
– Voyons
donc ! s’exclama Florence, gênée de constater tout le mal que les voisines
s’étaient donné. C’était pas nécessaire.
– On
sait ce que c’est, la mortalité, la rassura Thérèse Tremblay. Quand ça nous
tombe dessus, on n’a pas le temps de tout faire. Les gens vont venir voir ta
mère et avant de partir, ils haïront pas ça parler un peu entre eux en mangeant
quelque chose.
– Les hommes
s’en viennent, eux autres aussi, ajouta Yvette Vcilleux.
En cette première
soirée de veillée funèbre, il n’y eut pas foule pour venir rendre un dernier
hommage à la dépouille de Fernande Fournier. Mis à part quelques lointains
cousins demeurant à Trois-Rivières et dans les environs, la famille se limitait
à Florence et à Germain. C’est pourquoi l’abbé Martel ne trouva sur les lieux
qu’une vingtaine de personnes pour la récitation du chapelet.
Eugène
Tremblay et ses fils avaient précédé de peu Georges Hamel et sa femme. À l’étonnement des gens présents, les
nouveaux voisins, les Pierri, vinrent présenter leurs condoléances aux deux
orphelins et restèrent pour la prière. Marthe et Wilfrid Giguère firent ensuite
leur apparition en même temps que les Tougas. Ernest Veilleux et deux de ses
jeunes fils arrivèrent les derniers. Dès qu’il aperçut Eugène Tremblay, le
visage du cultivateur devint de marbre. Il passa devant lui sans tourner la
tête pour aller s’agenouiller devant la dépouille. Après une brève prière, il
alla offrir ses condoléances à Germain et Florence Fournier avant d’aller
rejoindre les hommes à l’extérieur.
– Sont-ils
assez fatigants avec leur maudite chicane ! dit Yvette à voix basse à Thérèse
avec qui elle s’entretenait dans l’entrée du salon.
– Ça,
tu peux le dire ! fit Thérèse avec humeur. Pas un plus intelligent que l’autre.
Ce premier soir, bien
peu de gens restèrent plus que quelques instants en présence de la dépouille de
Fernande Fournier dans le salon trop exigu et surchauffé.
Les hommes préférèrent s’installer aux deux extrémités du balcon et dans la cour. À un bout du balcon, Eugène, Antonius Tougas,
le maire Giguère et quelques voisins discutaient de la visite du fonctionnaire
et des chances de Saint-Jacques d’être relié à Saint-Gérard par un pont dans un
proche avenir. Pour leur part, Ernest et deux retraités vivant au village s’étaient
regroupés près des voitures et faisaient des gorges chaudes sur les airs
importants que se donnait le maire en laissant sous-entendre l’énorme influence
qu’il avait sur le député Joyal. Le troisième groupe était formé par Hamel, Pierri,
Beaulieu et Desjardins, tous des fermiers du rang Sainte-Marie qui ne
souhaitaient pas être associés à l’un ou l’autre clan, ni être mêlés d’une
façon ou d’une autre à la dispute opposant Eugène Tremblay à Ernest Veilleux. Ces
derniers préféraient parler des prochaines récoltes plutôt que de politique. Pour
sa part, Germain Fournier allait d’un groupe à l’autre, l’âme en peine et
toujours aussi peu loquace.
De
leur côté, les femmes se partageaient entre la cuisine d’été et le salon alors
que les quelques jeunes présents étaient éparpillés dans la cour et discutaient
de tout et de
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