Les années folles
contrarié.
C’est ben de valeur, mais je vais essayer pareil.
Cette
nuit-là, Germain Fournier dormit très peu, écartelé entre sa timidité et son
amour pour celle qu’il aimait en secret depuis déjà plusieurs semaines. Assis
frileusement près de son poêle, il avait passé la soirée et la nuit à imaginer
des dizaines de scénarios qui lui permettraient de se déclarer avec une chance
d’être accepté.
Au petit matin, malheureux
comme les pierres, il décida d’en avoir le cœur net une fois pour toutes. Il
parlerait aux Veilleux après la messe et il leur demanderait la permission de
fréquenter leur fille. Singulièrement ragaillardi par cette décision, le timide
s’endimancha après avoir soigné ses animaux et il attendit avec impatience l’heure
de la grand-messe.
Ce n’est qu’au
moment de partir qu’il se souvint de la promesse de la cuisinière du curé de
lui donner sa recette pour cuire la viande de chevreuil après la messe.
– J’espère qu’elle
me fera pas manquer les Veilleux, s’inquiéta-t-il à haute voix. Si ça se trouve,
elle y aura même pas pensé.
Toutefois,
le jeune homme ne voulut pas être distrait de son objectif et il décida de
partir plus tôt et de se présenter au presbytère avant la messe pour lui offrir
un rôti de chevreuil. Ainsi, elle lui remettrait la recette et il n’aurait pas
à se préoccuper d’elle après la cérémonie.
Ce fut Agathe Cournoyer qui vint lui ouvrir lorsqu’il sonna à la porte
du presbytère une vingtaine de minutes avant la messe. Elle le fit passer dans
la cuisine quand il lui déclara d’un air embarrassé vouloir dire deux mots à
Gabrielle.
– Je vous ai
apporté un peu de viande de chevreuil en échange de votre recette, lui dit-il. Je
voulais pas la laisser dans la sleigh durant la messe.
– Vous êtes
bien fin, fit la jeune cuisinière en s’emparant du paquet grossièrement
enveloppé dans du papier brun. Je vous avais pas oublié, vous savez. La preuve,
voilà la recette que j’ai transcrite hier soir pour vous, ajouta Gabrielle en
lui tendant une feuille pliée en quatre qu’elle venait de tirer de la poche de
son tablier.
– Merci
beaucoup pour le dérangement. Bon. Il faut que j’y aille. La messe est à la
veille de commencer.
Sur ce, Germain Fournier, sa casquette à la main,
se dirigea vers la porte du presbytère, suivi de près par Agathe Cournoyer.
Après être allé
vérifier si la couverture déposée sur le dos de son
cheval n’avait pas glissé, Germain entra dans l’église derrière un groupe de
paroissiens et il alla prendre place dans le banc dont il avait renouvelé la
location pour l’année, le mois précédent. Céline Veilleux était déjà là, assise
une dizaine de sièges devant lui, en compagnie de ses parents et de ses deux
plus jeunes frères. Il jeta un long regard à la nuque fragile de la jeune fille
avant de baisser les yeux, dans une fausse attitude de recueillement .
La grand-messe de
ce troisième dimanche de l’avent fut à la fois trop longue et trop courte. Germain,
en proie à une étrange exaltation, ne participa en rien au saint sacrifice. Il
était à mille lieues de ce qui se passait autour de lui. Dans quelques minutes,
toute sa vie allait être bouleversée. À la fin de la messe, il demanderait la
permission à Ernest Veilleux de fréquenter sa fille et cette dernière ne pourrait
qu’accéder à sa demande en voyant à quel point il l’aimait. À partir d’aujourd’hui,
il allait faire en sorte qu’elle ne voie que lui. Il allait la gâter.
Le jeune homme
sursauta légèrement en voyant celle qu’il aimait revenir lentement de la sainte
table après avoir reçu la communion. La messe achevait déjà et il était en
train d’oublier les quelques phrases à dire à Céline, phrases qu’il avait répétées
cent fois depuis son départ de la maison. Quelques minutes plus tard , L’ ite missa est prononcé d’une voix de stentor par le
curé Lussier le tira de ses réflexions. Les fidèles envahirent alors les allées,
pressés de gagner la sortie. Comme il l’avait planifié, le jeune cultivateur
attendit que la famille Veilleux soit passée près de lui pour lui emboîter le
pas. Il voulait parler au père avant qu’il n’aille rejoindre des parents ou des
connaissances sur le parvis pour discuter, comme il le faisait pratiquement
tous les dimanches.
Le jeune homme eut
de la chance. Le père de Céline s’éloignait des siens à
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