Les autels de la peur
Beurnonville, puis Camus qu’il avait connu à Bruxelles, un mois plus tôt. Trois autres personnages suivirent et tous entrèrent vivement dans le pavillon de l’état-major, où Bernard s’abstenait de paraître.
Le bruit courait, depuis la veille, que la Convention avait rendu un décret mandant Dumouriez à la barre. Il n’obéirait assurément pas. Sans surprise, Bernard et les officiers réunis autour de lui entendirent s’approcher un bruit de fers nombreux. Le régiment de Bercheny, tout entier, se rangea en bataille sur la place. Immobiles sous le crachin dont les gouttelettes argentaient les uniformes gris-bleu et la robe des chevaux, les cavaliers coiffés du talpack, le visage encadré par deux longues tresses, la crosse de la carabine sur la cuisse, attendirent les ordres. Quels qu’ils fussent, ils les exécuteraient. Après plus d’une heure, Nordmann, leur colonel, sortit et lança un ordre en allemand. Vingt hommes mirent pied à terre. Quelques-uns firent avancer la berline des envoyés de la Convention, tandis que les autres, conduits par un officier, pénétraient dans le quartier général. « Eh bien, le crime est accompli, dit Bernard. À présent, cet homme est hors la loi. » Il avait osé se saisir du ministre de la Guerre lui-même : Beurnonville, son ancien lieutenant, son ami. On le vit apparaître entre les hussards, avec les députés, monter comme eux dans la voiture. Les cavaliers l’entourèrent aussitôt et elle prit la route de Tournai. Dans le fait, c’était justement par affection pour Beurnonville que Dumouriez l’arrêtait. « Je vous arrache au tribunal révolutionnaire », lui avait-il dit.
Bernard réunit alors tous les lieutenants-colonels. Il leur montra le décret des commissaires, puis il donna ses ordres. Le traître allait certainement se rendre à Condé : seule place forte qui lui restât pour en faire marché avec les Autrichiens. Boiledieu le devancerait, emmenant six bataillons pour renforcer les troupes du général Neuilly, presque toutes composées de volontaires, apprendre à ceux-ci que Dumouriez était hors la loi, et repousser avec eux toute attaque soit des « Mameluks », soit de Clerfayt.
Boiledieu abattit ses tentes à la nuit close. Il partit sans tambour. Avant l’aube, trois autres bataillons l’imitèrent, avec mission d’occuper la route à une demi-lieue de Condé. Enfin Bernard, prenant le bataillon de l’Yonne commandé par Davout, s’en fut se poster en premier échelon, au bord de la route, à la sortie d’une courbe qui le masquait du côté de Saint-Amand. Une chaumière, avec les haies et les arbres fruitiers de son jardin, facilitait l’embuscade. Derrière, la forêt montait en légères pentes verdissantes. En face, s’étalaient des champs de lin, plats, marécageux, coupés par un canal. Il brumassait comme la veille, et cela bouchait l’horizon.
Après un assez long temps, on entendit le vacarme d’une artillerie approchant à bonne allure. Poussant son cheval, Bernard vit arriver deux batteries de 8 précédées par leurs officiers. Il les arrêta, ils lui apprirent que Dumouriez avait fait aux troupes une proclamation. Elle avait plu à certains et déplu fort à d’autres.
« Pour notre part, ajoutèrent-ils, nous sommes las de souffrir ces généraux qui passent leur temps en agitations politiques ou en conférences avec l’ennemi au lieu de songer à le battre. Nous allons rejoindre Dampierre.
— Eh bien, citoyens, je suis ici au nom de la Convention pour arrêter le traître. Me prêterez-vous main-forte ? »
Ils répliquèrent qu’ils ne voulaient pas se battre contre des frères d’armes.
« Nous non plus. Mais contre les hussards ?
— Pour cela, oui », répondirent-ils.
Bernard les envoya soutenir les trois bataillons barrant la route. Il s’attendait à voir Dumouriez faire mouvement avec toute sa cavalerie, peut-être même, hélas, des compagnies de ligne. Aussi voulait-il, au moyen du bataillon Davout, séparer celles-ci, pacifiquement si possible, des cavaliers allemands qui se heurteraient plus loin au barrage.
L’événement se produisit de tout autre façon et le déconcerta. Brusquement, débouchèrent au petit trot deux douzaines environ de hussards. Entre les deux, Dumouriez chevauchait avec Égalité, Thouvenot, Montjoie, les deux filles Fernig – qui avaient quitté l’état-major après s’être vaillamment battues à Jemmapes, et qui le suivaient de
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