Les autels de la peur
nouveau depuis Ath, – et des aides de camp, dont Baptiste, bien entendu. Par derrière, rien. Bernard, surpris par ce peu de forces, laissa passer un instant, de sorte que les hussards, parvenus à la hauteur de la chaumière, découvrirent le bataillon en position de combat, les armes prêtes. Voltant aussitôt, ils le chargèrent et furent criblés de balles par les volontaires qui, sans ordres, n’attendirent pas d’être sabrés. Tout cela s’était déclenché en un clin d’œil. Déjà Davout lançait trois compagnies pour prendre à revers le second peloton qui décrochait ses carabines. Bernard, galopant vers l’état-major, criait à Dumouriez de se rendre. Baptiste répondit par un coup de pistolet. Atteint en pleine tête, le cheval de Bernard manqua des quatre pieds et s’abattit. Tandis que les hussards tiraillaient avec les trois compagnies, Dumouriez et sa suite, entraînés par Thouvenot, se jetaient dans le champ de lin. Bernard courut derrière les volontaires qui les poursuivaient en tirant. Des bêtes, des hommes tombèrent. Dumouriez, Thouvenot, une des sœurs Fernig furent démontés, mais sautèrent sur des chevaux sans cavaliers et, parvenus au canal, le franchirent d’un élan. Un des aides de camp y resta. Saluée encore par les balles, la petite troupe égaillée et diminuée s’éloigna en pataugeant dans les marécages.
Pour un instant d’hésitation, dont Bernard, finalement, n’éprouva jamais le regret, Dumouriez s’échappait. Il n’était pas moins perdu. Sa carrière, un moment si belle, venait de prendre fin misérablement là, devant cette chaumine, dans cette échauffourée qui n’avait même pas réussi à être un combat. Guidé par les sœurs Fernig, il fuyait dans les tourbières. Les deux jeunes filles, habituées à la région, réussirent à le mener au bac par lequel on passait l’Escaut. Ce n’était qu’une simple barque. Il fallut abandonner les chevaux et les derniers fidèles. Ils remontèrent vers Maulde en longeant le fleuve, tandis que Dumouriez, avec les jeunes filles et Louis-Philippe Égalité, le traversaient. Sur l’autre rive, ils errèrent tout le reste du jour. Le soir, boueux, exténués, ils demandèrent asile à un petit château où, d’abord, on leur refusa l’entrée. On les accueillit quand ils se furent fait reconnaître. Prévenu par Baptiste, Mack battait la contrée. Il arriva dans la nuit. Dumouriez le stupéfia en lui disant qu’il allait retourner parmi ses troupes, il saurait les ressaisir. Dès le matin, en effet, avec une forte escorte de dragons impériaux, il gagna son ancien camp de Maulde où il retrouva ses fidèles. Là, il lui fallut comprendre que tout était fini : l’artillerie tout entière avait quitté Saint-Amand pour se mettre aux ordres de Dampierre, à Valenciennes, où la plupart des divisions la rejoignaient une à une. Même les quelques régiments qui demeuraient attachés à Dumouriez, par un reste d’idolâtrie, se détournaient de lui à présent. Il avait commis la dernière faute : le chef d’une armée ne revient pas au milieu d’elle sous la protection des soldats ennemis.
Remontant à cheval avec Baptiste, Thouvenot, Égalité, Montjoie, le général Fernig et ses filles, il se rendit à Tournai, suivi par les régiments de Bercheny et Saxe-Hussards. Clerfayt l’accueillit bien et lui offrit ensuite dans l’armée autrichienne un commandement qu’il refusa. Ce 6 avril 1793, commençaient pour lui trente années de misérable exil errant.
XIV
Durant ces premières semaines printanières, la situation n’avait cessé d’empirer. On apprenait chaque jour, à Paris, les nouvelles les plus effrayantes. De Bâle à Dunkerque, toutes les frontières étaient en péril. Avec quarante-cinq mille Prussiens et Hessois, Frédéric-Guillaume investissait les vingt-deux mille volontaires commandés par le général Aubert-Dubayet et le lieutenant-colonel Kléber, que Custine avait laissés dans Mayence. Ils étaient maintenant coupés de tout secours. Cinquante mille autres Prussiens réunis à vingt-quatre mille Autrichiens, à vingt-cinq mille Saxons, Hessois, Bavarois, menaçaient le Rhin. Trente mille ennemis occupaient le Luxembourg, et trente mille Anglais, Hollandais et Hanovriens descendaient du nord. Cobourg, renforcé de dix mille Impériaux, n’avait plus devant lui que les tronçons de l’armée de Belgique, ramenée en dix-sept jours des frontières hollandaise et
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