Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
comme ils ont procédé. Pendant plusieurs mois, les agents de renseignement allemands ont surveillé une nouvelle formation militaire d’envergure qui s’appelait apparemment le First United States Army Group (FUSAG). Le renseignement allemand avait également vent de la Douzième armée britannique, dont nombre de divisions semblaient prêtes à faire route vers la Norvège, la Suède, la Turquie, la Crète et la Roumanie. Apparemment, les Alliés se regroupaient. Le renseignement allemand se forgea progressivement l’impression que les Alliés avaient planifié une attaque d’envergure en traversant la Manche. La zone la plus menacée était le Pas de Calais, là où les Américains envisageaient apparemment de débarquer pour envahir la France.
Il s’agissait bien évidemment d’une gigantesque intoxication volontaire qui avait pour but de détourner l’attention des Allemands du véritable objectif, les plages de Normandie. En outre, précise Ralph Bennett, « les opérations de bombardement et de sabotage ont coupé suffisamment de lignes terrestres dans le nord de la France, dans les semaines précédant le jour J, pour forcer l’ennemi à communiquer des éléments de renseignement utiles par radio ». Les lignes terrestres posaient problème à Bletchley, car il était impossible d’intercepter les communications téléphoniques. Mais, grâce au travail de BP, le commandement allié put constater, par le biais de messages déchiffrés provenant de diverses sources de la machine de guerre allemande, que les mensonges avaient pris.
À l’approche du jour J, l’activité à Bletchley atteignit son paroxysme. Comme le rappelle un ancien, l’imminence de l’opération Overlord modifia l’atmosphère du Park de manière spectaculaire, notamment à cause de l’interdiction de se déplacer : « C’était une restriction éprouvante car la plupart d’entre nous n’avaient nulle part où aller pendant notre week-end de repos. Nous n’avions pas le droit non plus de manger à la cafétéria et nous prenions nos repas dans un baraquement préfabriqué où la nourriture était pire encore. Notre volume de travail augmenta sous la pression. »
Une Wren consigna télégraphiquement par écrit ses impressions sur cette pression : « Lundi 12 juin – Début du cauchemar », « Mardi 13 – Oh là là, quelle journée ! » et « Mercredi 14 – journée mouvementée ! » Une autre se souvient d’un briefing inattendu :
Nous avons commencé à travailler à minuit et le chef de garde nous a dit : « Mesdames, avant que vous démarriez cette nuit, j’aimerais que vous veniez jeter un coup d’œil à cette carte. » Il a montré sur toute la côte sud l’armée de terre, la marine et l’armée de l’air regroupées et prêtes pour l’invasion le lendemain matin. Il a ensuite précisé : « À cause de ça, vous n’êtes pas autorisées à parler à quiconque en dehors de cette pièce ce soir, ni à vous rendre à la cantine. » […] Comment pouvaient-ils croire que trois Wrens en plein Bletchley allaient prévenir Hitler que nous nous apprêtions à débarquer ?
À part ces arguties, Bletchley joua son rôle le 6 juin 1944, alors même que l’armada alliée entamait sa traversée de la Manche. Divers messages émanant des Allemands, dont ceux des U-Boote et des rapports de parachutage, furent déchiffrés, traduits et envoyés aux autorités concernées, le tout en l’espace d’une demi-heure. Si les détails précis du Débarquement demeuraient secrets, il se préparait manifestement quelque chose de très important. Mavis Batey se rappelle les préparatifs : « Je me souviens que nous savions que c’était le jour J. Je me revois aller à Londres en train depuis Bletchley, me disant : “Je suppose que je suis la seule personne dans ce train à savoir que le jour J est pour demain.” »
Pour le casseur de codes Harry Hinsley, le jour J consista à rester solidement installé derrière son bureau pendant plus de vingt-quatre heures. L’apogée fut un coup de téléphone important provenant de Downing Street. Tout d’abord, une femme lui demanda de confirmer qu’il était bien M. Hinsley. Puis il entendit Churchill lui demander : « L’ennemi a-t-il déjà appris que nous arrivions ? » Hinsley lui dit que les premiers messages allemands déchiffrés étaient en train d’arriver sur le télescripteur.
Deux heures plus tard, Churchill
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