Les chasseurs de mammouths
idée lui venait à l’esprit, il se sentit étreint par
une intolérable souffrance et comprit que là serait son châtiment. Doni lui
avait accordé ce qu’il avait le plus désiré. Elle avait trouvé pour lui la
seule femme qu’il pût jamais aimer, mais il n’avait pas su l’accepter.
Maintenant, il l’avait perdue. C’était sa seule faute, il était prêt à en payer
le prix, mais ce ne serait pas sans souffrance.
D’aussi loin qu’il s’en souvînt, Jondalar avait toujours lutté
pour conserver son sang-froid. D’autres manifestaient leurs émotions : ils
riaient, se mettaient en colère, pleuraient beaucoup plus facilement que lui,
mais, par-dessus tout, il résistait aux larmes. Depuis l’époque où il avait été
éloigné des siens, où il avait perdu sa tendre et crédule jeunesse en une nuit
passée à pleurer sur la perte de son foyer, de sa famille, il ne lui était
arrivé qu’une fois de verser des larmes : dans les bras d’Ayla, sur la
mort de son frère. Mais, de nouveau, cette nuit-là, il s’abandonna à son
chagrin. Dans l’obscurité de cette habitation, à une année de route de son
peuple, il versa des larmes silencieuses, intarissables sur la perte de ce qui
lui tenait le plus à cœur. La perte de la femme qu’il aimait.
La Fête du Printemps, attendue avec tant d’impatience, était
à la fois la célébration d’une année nouvelle et une manifestation d’actions de
grâce. Elle ne se tenait pas au tout début de la saison mais à son apogée,
quand les premières pousses, les premiers bourgeons étaient déjà bien installés
et pouvaient être récoltés. La Fête, pour les Mamutoï, marquait le début du
cycle annuel. Avec une ferveur joyeuse, avec un soulagement inexprimé que seuls
pouvaient pleinement apprécier des êtres qui existaient à la limite de la
survie, ils accueillaient le temps où la terre reverdissait, le temps qui
garantissait la vie pour eux-mêmes et pour les animaux avec lesquels ils
partageaient le territoire.
Par les nuits les plus noires, les plus froides d’un long hiver
glacial, quand il semblait que l’air lui-même allait geler, le cœur le plus
confiant pouvait douter que la chaleur et la vie pussent jamais renaître. En
ces jours où le printemps semblait le plus lointain, les souvenirs, les
histoires des Fêtes du Printemps passées venaient alléger les craintes
profondément ancrées et apportaient l’espoir renouvelé que le cycle de la
Grande Terre Mère allait bien se poursuivre. Ces histoires, ces souvenirs
faisaient de chaque Fête du Printemps un événement aussi extraordinaire, aussi
mémorable que possible.
Pour la grande Fête du Printemps, on ne devait rien manger de ce
qui restait de l’année précédente. Seuls ou par petits groupes, les Mamutoï,
depuis bien des jours, pêchaient, chassaient, posaient des pièges et
cueillaient. Jondalar avait fait bon usage de son lance-sagaie et il était
heureux d’avoir apporté sa contribution sous la forme d’une femelle de bison
qui était pleine, même si elle était encore bien maigre. On recueillait tous
les végétaux comestibles qu’on pouvait trouver. Les chatons de bouleaux et de
saules, les jeunes feuilles à peine déroulées des fougères, tout comme les
vieux rhizomes qui pouvaient être rôtis, pelés, réduits en poudre, tout comme
le cambium des sapins et des bouleaux, adouci par une sève nouvelle ;
quelques baies à courlis, d’un noir violacé, pleines de graines dures, qui
poussaient à côté des petites fleurs roses, sur les buissons bas à feuilles
persistantes ; et, dans les zones abritées, où elles avaient été
recouvertes de neige, d’autres baies d’un rouge vif, gelées puis ramenées par
le dégel à une moelleuse douceur, subsistaient sur les branches basses.
Bourgeons, pousses fraîches, bulbes, racines, feuilles, fleurs
de toute espèce : la terre abondait en nourritures délicieuses. On
utilisait en légumes les pousses et les jeunes cosses du laiteron, tandis que
sa fleur, riche en nectar savoureux, servait à sucrer les mets. Les feuilles d’un
vert tendre du trèfle, du chénopode, des orties, de la balsamine, du pissenlit,
de la laitue sauvage se mangeaient cuites ou crues. Les tiges et, surtout, les
racines de chardons étaient très recherchées. Les bulbes de lis, les pousses
des massettes, les tiges de joncs étaient parmi les favoris. Les racines
sucrées, savoureuses de la réglisse pouvaient se manger crues ou
Weitere Kostenlose Bücher