Les cochons d'argent
la nuit tombée. Dans Rome. À travers ces ruelles sombres à l’extrême, grouillantes de racaille. Elle était plus en sécurité auprès de moi.
« L’était-elle vraiment ? » m’a-t-on demandé par la suite. Je me débrouillai pour ne pas répondre. J’ignore toujours si Sosia Camillina se trouvait en sécurité avec moi cette nuit-là.
Je lui dis d’un ton bourru :
— Les invités prennent la banquette. Les couvertures se trouvent dans le coffre en bois.
Je la contemplai tandis qu’elle se confectionnait un cocon élaboré. Elle s’en sortait très mal et me rappelait les légionnaires fraîchement recrutés, lorsqu’ils se retrouvent à huit sous une tente, dans leur tunique qui les gratte, sans savoir comment on installe sa couche. Elle s’affaira autour de la banquette pendant une éternité, bordant bien trop serré un nombre trop élevé de couvertures.
— Il me faut un oreiller, se plaignit-elle enfin avec la moue boudeuse de l’enfant qui ne peut s’endormir sans avoir observé son rituel quotidien.
L’alcool aidant, grisé par toute cette excitation, je me sentais bienheureux. Que m’importait, à moi, d’avoir ou non un oreiller ? Je glissai la main derrière la tête et lui balançai le mien. Elle parvint à s’en saisir malgré mon lancer approximatif. Sosia Camillina l’inspecta comme si elle y cherchait des puces. Je sentis monter en moi un nouvel accès de ressentiment contre la noblesse. Même si quelques bestioles y avaient élu domicile, elles étaient prisonnières d’une taie rouge et violette que maman m’avait offerte à mon corps défendant. Je n’allais pas supporter beaucoup plus longtemps cette gamine un peu trop fouineuse qui se permettait de jeter un regard méprisant sur mon petit intérieur.
— Il est tout à fait propre. Vous pouvez vous en servir sans crainte. Et tâchez de montrer un peu plus de gratitude !
Elle l’installa avec soin au bout de sa couche. Je soufflai sur la lampe. Un enquêteur privé sait très bien se conduire en gentleman, surtout lorsqu’il a trop bu pour en faire autrement.
Je dormis comme un nouveau-né. J’ignore s’il en alla de même pour mon invitée. Sans doute pas.
6
Le sénateur Decimus Camillus Verus résidait dans le secteur de la porte Capena. Comme je n’habitais pas très loin, je choisis de m’y rendre à pied. En chemin, je rencontrai Maïa, ma plus jeune sœur, et deux garnements qui partageaient mon arbre généalogique.
Certains enquêteurs sont des individus très solitaires. Ce n’est pas du tout mon cas – ce qui explique peut-être beaucoup de choses… Dès que je prends discrètement en filature un médiocre gratte-papier adultère, dans sa tunique flambant neuve, il faut que je tombe sur un de ces morveux qui n’hésite pas à m’interpeller à tue-tête. Je me déplace toujours dans Rome avec la discrétion d’un âne bâté. La plupart des gens habitant entre le Tibre et la porte Ardeatina ont un lien de parenté avec moi. J’ai cinq sœurs, sans compter la pauvre fille que mon frère Festus n’a jamais trouvé le temps d’épouser, treize neveux et quatre nièces, et quelques autres visiblement déjà en route. Je ne parle même pas de ma parentèle aux quatrième et cinquième degrés, pour reprendre l’expression des juristes : les frères de ma mère et autres sœurs de mon père, les cousins germains de tel premier mariage, les enfants du beau-frère du grand-père de la tante Machin…
J’ai aussi une mère, mais je fais de mon mieux pour oublier ce détail.
Je saluai les deux gamins d’un geste de la main. J’ai réussi à maintenir de bonnes relations avec certains d’entre eux. Ces futés garnements me rendent bien service pour suivre les conjoints infidèles dès que je préfère m’éclipser vers un champ de courses.
Decimus Camillus possédait une demeure, située sur un vaste terrain, dans un paisible quartier résidentiel. Il avait acquis le droit de s’approvisionner en eau directement au vieil aqueduc appien, situé à proximité. Il était assez riche pour ne pas avoir à louer le rez-de-chaussée comme magasin, ni les chambres du dernier étage. Il partageait en revanche son enviable parcelle avec le propriétaire d’une villa similaire. J’en déduisis que notre sénateur n’était pas richissime, loin s’en faut. Comme la plupart d’entre nous, ce pauvre bougre avait du mal à suivre le train de vie imposé par son rang social. À
Weitere Kostenlose Bücher