Les cochons d'argent
Je vous le laisse encore ? Il vous sert à quelque chose ?
— C’est un bon à rien, mentit Cornix.
Ce n’était pas la franche vérité. Je me trouvais dans un état minable, mais j’avais été en pleine santé à mon arrivée. Je fixais rageusement le sol tandis que Cornix et Vitalis faisaient mine de négocier.
— Regardez-moi ça ! fit Rufrius d’un ton méprisant. (Je pris mon air le plus piteux.) Encore quelques semaines de brouillard et de givre et il nous suppliera de rentrer chez lui. Mais vu son état, j’en obtiendrai pas grand-chose – vous pourriez pas m’engraisser ce saligaud ? Je serais prêt à partager la rançon…
En se voyant tendre une si belle perche, Cornix s’empressa de promettre qu’il me ferait donner des tâches plus légères. Vitalis partit après m’avoir adressé un bref signe de la tête. J’avais fait mon temps comme ramasseur, et j’allais me retrouver conducteur.
— C’est ton jour de chance, pinson ! fit Cornix, toujours répugnant. On va célébrer ça !
J’avais dû jusqu’alors déployer des trésors d’ingéniosité pour éviter de me retrouver choisi pour les ébats amoureux de Cornix.
J’expliquai à cette brute que je souffrais d’une migraine ; pour ma peine, je reçus un coup de pied.
27
La conduite des carrioles semblait une tâche assez simple. On utilisait des mulets plutôt que des bœufs, à cause des raidillons. Chaque carriole pouvait contenir quatre lingots. Ça représentait un sacré poids et le transport était d’une lenteur effroyable. On me plaça à l’avant du convoi, derrière la carriole de tête, prétextant qu’un nouveau ne connaissait pas la route. En fait, c’était pour éviter qu’on s’échappe, tant qu’on ne s’était pas avéré être un type fiable.
On ne ferait jamais confiance à un esclave sorti des mines. Je m’étais tout de même glissé dans le moule et je me montrais aussi sûr qu’un autre.
Une dernière vérification était prévue afin d’éviter tout vol du magot de l’Empire. En quittant les mines nous passions devant le fort où des soldats comptaient chaque lingot avant de dresser un procès-verbal. Ce document accompagnait la cargaison d’argent jusqu’à Rome.
Une seule route en bon état permettait de quitter Vebiodunum, celle qui partait en direction de la frontière. Toute charrette chargée de lingots devait l’emprunter, car les chemins secondaires étaient trop étroits et cahoteux pour supporter une telle charge. Tout lingot sortant de la mine figurait donc nécessairement sur un procès-verbal.
Notre destination était le port militaire d’Abona. Pour rejoindre le grand estuaire il nous fallait d’abord lui tourner le dos, parcourir dix milles à l’est afin de rejoindre la grand-route de la frontière, l’emprunter vers le nord jusqu’aux sources sacrées de Sul, puis encore à l’ouest, comme pour boucler le troisième côté d’un carré. En tout, une trentaine de milles romains. De lourdes barges remontaient l’estuaire avec les lingots, passaient les Deux Promontoires et traversaient le détroit Gallieus, sous l’escorte de la flotte britannique ; de Gaule, le transport se faisait par voie de terre. La majeure partie de l’argent gagnait le sud par la Germanie, où un fort contingent militaire en garantissait le passage.
Je connaissais déjà Abona.
Rien n’avait changé. Petronius Longus et moi y avions passé deux longues années dans un poste de douane, sous le crachin. Le poste n’avait pas bougé, géré comme toujours par des soldats encore gamins, arborant leurs manteaux flambant neufs aux couleurs encore vives, qui déambulaient, tels des seigneurs, ignorant les pauvres esclaves chargés de transporter le trésor de l’Empire. Ces jeunots avaient tous l’air pincé et le nez coulant mais, contrairement aux fouines de la mine, eux savaient compter. Ils inspectaient notre bordereau, comptabilisant les lingots ; ils les comptaient à nouveau quand on les chargeait sur les barges. Le concessionnaire Triferus n’avait qu’à prier pour que ça colle à chaque fois.
Et ça collait toujours. Ce qui n’était pas surprenant. Après avoir quitté Veb., nous nous arrêtions toujours dans le même village, juste avant la frontière, pour que le conducteur fasse ses besoins. On s’arrêtait même si personne n’avait envie.
C’est au cours de cette pause que notre bordereau était modifié.
J’étais presque au bout de mes
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