Les cochons d'argent
quand le sol se déroba sous mes pieds. J’avais dérapé sur la glace. Je me retrouvai sur le dos, dévalant un des puits. Un de mes talons atterrit maladroitement. Je ne ressentis rien au début. Mais lorsque que je tentai de grimper, j’éprouvai une vive douleur et compris que je m’étais cassé quelque chose dans la jambe. Festus me souffla que ça ne pouvait arriver qu’à moi.
Je restai allongé à contempler le ciel gelé et sortis ses quatre vérités à mon héros de frère.
La neige se mit à tomber. Le silence me pesait. Si je demeurais là, j’allais mourir. Mourir ainsi rachetait sans doute ce qu’avait enduré Sosia Camillina, mais hormis le compte rendu transmis à Hilaris – si jamais Rufrius Vitalis parvenait à le trouver, et à lui rapporter clairement les faits… – je n’avais rien accompli. Si je disparaissais sans raconter mon histoire, mes souffrances n’auraient aucun sens.
La neige, implacable et cruelle, continuait de tomber. J’avais trouvé un peu de chaleur en marchant mais, allongé, je sentais bien mon corps se refroidir. Je recommençais à divaguer à voix haute ; personne ne me répondait plus.
Il faut toujours tenter quelque chose, quitte à échouer. Je confectionnai une attelle de fortune – un pieux abandonné, attaché avec la corde en poil de chèvre qui m’avait servi de ceinture. Ce n’était pas du grand art, mais j’arrivais tout juste à me tenir debout.
Je commençai à clopiner. Vers Veb. J’y serais totalement inutile, mais je n’avais aucun autre endroit où me rendre.
Quelqu’un – et oui, une femme… – m’a demandé par la suite pourquoi je ne m’étais pas réfugié au fort. Il y avait deux raisons ; enfin, trois… Primo, j’avais toujours l’espoir d’apprendre où les cochons volés étaient envoyés. Secundo, un esclave chétif et fou, surgi de la lande, clamant être l’envoyé du procureur Hilaris pour une affaire touchant l’Empereur, recevrait une déculottée. Tertio, tous les enquêteurs ne sont pas parfaits : je n’y ai jamais songé !
J’étais tout engourdi, épuisé, battu et rebattu par le vent. Entre la douleur et la déception, ma pauvre tête était lessivée. J’atteignis enfin les mines. Je boitai vers le site en cours d’exploitation, je m’écroulai devant le maître de chantier Cornix. Il rugit en apprenant que j’avais laissé quatre lingots volés sans surveillance. Il s’empara d’un des montants servant à soutenir les galeries. J’ouvris la bouche, prêt à avouer que je les avais enterrés. Avant de pouvoir dire un mot, je distinguai vaguement, entre les flocons de neige, Cornix balancer son pic vers moi. Je pris le coup en plein thorax et sentis plusieurs côtes se briser. Ma jambe céda et l’attelle se rompit. Je m’évanouis en tombant.
Quand on me jeta dans une cellule, je repris connaissance, juste le temps d’entendre Cornix vociférer :
— Qu’il crève !
— Et le chasseur de primes ?
— Personne n’ira jamais réclamer cette vermine ! fit-il en lâchant son rire rauque. Si on le cherche, dites qu’il est mort. Ça ne saurait tarder !
Je commençais à croire sérieusement que je ne rentrerais pas chez moi de sitôt.
28
J’avais l’ouïe beaucoup plus fine que d’ordinaire. Normal, seuls les bruits extérieurs m’empêchaient de sombrer dans la folie ; et si j’ai survécu, c’est bien en restant sain d’esprit.
J’étais incapable de bouger. Personne ne venait me voir. Je ne distinguais rien hormis les différentes nuances de gris que prenaient les pierres des murs humides en fonction du jour et de la nuit. Il n’y avait pas de fenêtre. Certains jours, la porte s’ouvrait avec force craquements et l’on avançait un bol de nourriture grasse. Je préférais les jours où l’on m’oubliait – tout simplement…
J’ignorais depuis combien de temps je me trouvais là. Sans doute moins d’une semaine. Une semaine peut paraître longue à quelqu’un laissé pour mort.
J’avais appris à distinguer la vraie pluie du sempiternel crachin hivernal en fonction du bruit que faisaient les pas des esclaves enchaînés. J’entendais régulièrement des chariots cahotants. Plus rarement, je surprenais les sabots d’un poney et je comprenais alors qu’un officier du fort en manteau rouge venait de passer. Lorsque le vent soufflait dans la bonne direction je parvenais à distinguer les coups de hache et le bruit des seaux en bois qu’on
Weitere Kostenlose Bücher