Les cochons d'argent
dans la carriole.
— Belle machine, dis-je à Helena, peinant à retrouver mes vieilles intonations.
Puis, comme c’était une femme, je lui proposai :
— Vous voulez que je conduise ?
— Non, dit-elle.
D’autres auraient dit « non merci ». De toute façon, j’arrivais à peine à me tenir droit sur le siège.
Elle attendit d’être parfaitement installée avant de daigner m’adresser la parole :
— Si on vous confiait un véhicule, vous me laisseriez le conduire ?
— Non, dus-je convenir.
— Vous ne feriez pas confiance à une femme. Et bien moi, je ne fais pas confiance aux hommes.
— Ça se défend, dis-je.
Elle n’avait pas tort : la plupart des hommes conduisaient comme des fous.
Le poney s’élança d’un bon pas et nous quittâmes bientôt le village. Comme on pouvait s’y attendre, Helena Justina fonça droit devant elle. Derrière nous, l’escorte suivait tant bien que mal, dans un tintement de grelots.
— Surtout, dites-moi si je vais trop vite et si vous avez peur, lança-t-elle, provocante, les yeux rivés devant elle.
— Vous allez trop vite, mais vous ne me faites pas peur.
Elle venait de tourner sur une route secondaire.
— Vous vous trompez : prenez la route vers l’est, à travers les plateaux.
— Non, nous avons des soldats. Inutile de longer la frontière, nous devons aller vers le nord. Vous pouvez remercier votre ami Vitalis d’avoir été secouru aujourd’hui. Il a conseillé à oncle Gaïus de vous récupérer, que votre mission soit terminée ou non. J’ai proposé de venir vous chercher, la couverture est meilleure. Et je m’en voulais pour votre pauvre mère grisonnante… (Je ne me souvenais pas lui avoir parlé de maman, mais je la laissai continuer.) Oncle Gaïus a fait arrêter ce Triferus à Glevum…
J’avais perdu la faculté de suivre une conversation, mon cerveau ne pouvait enregistrer tant d’éléments.
— Je vois. Au nord, hein ?
À quoi bon discuter… Qu’un autre prenne les commandes… Beau joujou, cette carriole… Trop fragile pour supporter le poids de quatre lingots. Nous aurions peut-être réussi à monter quelque chose – limite, limite – avec les poneys des soldats. J’étais trop fatigué pour y attacher de l’importance. Je devais tout de même paraître soucieux. Elle ralentit l’attelage.
— Falco, que faisiez-vous sur la lande ? Dites-moi la vérité.
— J’ai caché les lingots volés sous un monticule de pierres.
— À titre de preuve ?
— Par exemple.
Elle avait dû se faire sa propre idée car elle fouetta le pauvre poney qui s’élança. Soudain, son regard s’alluma.
— Vous rêviez sans doute d’une retraite bien confortable !
Nous avons laissé sur place les quatre lingots. Autant que je sache, ils sont toujours là-bas.
Helena Justina conduisait toujours aussi vite. Son mari avait sans doute demandé le divorce pour sauver sa peau. Toutefois, je n’eus jamais vraiment peur. Elle maniait la carriole adroitement et savait allier patience et courage. Le poney lui faisait entièrement confiance ; au bout de quelques milles, moi aussi. Cela valait mieux, nous en avions cinquante à parcourir avant Glevum.
Nous nous sommes arrêtés deux fois. Elle me faisait glisser à terre. La première fois je vomis, mais sa conduite n’y était pour rien. Elle me laissa me reposer pendant qu’elle parlait à voix basse avec un des soldats. Avant de repartir elle m’apporta du vin doux dans une flasque. Elle me soutint par l’épaule. En sentant ainsi la peau d’une femme, je me mis à transpirer.
— Nous pouvons nous arrêter en route dans une auberge, si vous voulez.
Elle parlait d’un ton détaché mais me regardait intensément.
Je fis non de la tête sans dire un mot. Je souhaitais poursuivre la route. Je préférais mourir dans un camp militaire où l’on m’enterrerait avec une pierre tombale, plutôt que dans une taverne où l’on me balancerait dans une fosse avec les amphores cassées et le vieux matou. Je me dis soudain qu’Helena Justina avait peut-être une bonne raison de filer ainsi sur la route à cette allure : elle ne souhaitait pas se retrouver avec mon cadavre au milieu de nulle part. Je remerciai les dieux de lui avoir donné un bon sens aussi redoutable. Je me voyais mal lui laisser ma dépouille, ici ou ailleurs.
Elle lut sans doute dans mes pensées… mon expression maladive devait être éloquente.
— Ne vous
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