Les compagnons de la branche rouge
fut à la fontaine afin de se laver. Et, lorsqu’il
porta la main à son visage, il y découvrit les trois furoncles issus de la
satire. Le premier était rouge, le deuxième vert, le troisième blanc, et ils s’appelaient
respectivement Tache, Blâme et Laideur. Une fois sûr de sa disgrâce, le roi
Caier fut bien malheureux et, pour que nul n’en fût témoin, il quitta sur l’heure
sa forteresse et courut se réfugier à Dun Cermai, chez Cacher, fils d’Etarscele.
Il y reçut bon accueil et y demeura le plus paisiblement qu’il put, sans se
faire voir de personne.
Quant à Nédé, il s’empara de la royauté, partagea le lit de
la femme de Caier et, de la sorte, régna un an. Mais, un jour, il alla rendre
visite à Cacher, fils d’Étarscele, et, à bord de son char, pénétra dans la
forteresse de celui-ci, suivi par sa meute qu’il avait emmenée. Or, ayant
appartenu à Caier, les chiens flairèrent la piste du roi déchu, la reconnurent
et la suivirent jusqu’à l’habitation où il se cachait. Ils trouvèrent leur
maître assis sur une grosse roche mais, dès qu’il aperçut Nédé, Caier mourut
subitement de honte et, au même instant, la roche s’embrasa si furieusement qu’elle
éclata. Et l’un de ses fragments sauta dans l’œil de Nédé et lui ravagea la
cervelle. Ainsi périt le poète Nédé, victime de la satire qu’il avait prononcée
contre le roi Caier à seule fin de satisfaire son désir du trône [93] .
À la même époque se trouvait chez les Ulates un poète nommé
Athirne et qui, doté de grands pouvoirs, se montrait aussi âpre qu’impitoyable
et dénué de tout scrupule envers les victimes de ses demandes. Car chaque fois
qu’il allait chez un roi, il demandait quelque chose et, à moins d’obtenir
satisfaction, il menaçait ses hôtes des pires malheurs. Aussi l’avait-on
surnommé l’importun d’Ulster.
Le roi Conor, qui ne savait comment se débarrasser d’un tel
fléau, lui suggéra un jour, sur les conseils de Cavad, d’accomplir un circuit
bardique à travers toute l’Irlande. Athirne s’en alla donc et fit le tour des
provinces d’Irlande en commençant par la gauche. Il arriva ainsi chez le roi du
milieu de l’Irlande, entre les deux gués de Hurdlès, c’est-à-dire chez Éochaid,
fils de Luchta, qui régnait sur la partie méridionale de la province de
Connaught. Fort ennuyé de le voir fouler sa terre, Éochaid l’encouragea à
franchir le Shannon et à se rendre chez les hommes de Munster, au sud.
« Certes, répliqua Athirne, j’irai volontiers chez eux,
mais je te préviens, ô roi, je ne quitterai pas ton pays que je n’aie reçu
faveurs et richesses de ta part et de la part des tiens. – Tu t’es toujours
montré cruel et sans merci, ô Athirne, soupira Éochaid. Mais si tu vois dans
nos trésors quelque chose qui soit agréable à tes yeux, prends-le. Nous te l’offrons.
– Ma foi, dit Athirne, le choix n’en sera pas difficile. Tu es borgne, roi Éochaid,
et, à mon avis, ton pays ne possède rien de plus précieux que l’œil qui te
reste. Voilà le trésor que je réclame. – Puisqu’il m’est impossible de te le
refuser, dit Éochaid, tu auras ce que tu demandes. »
Le roi s’enfonça le doigt dans l’orbite, en arracha l’œil et
le déposa sur le poignet d’Athirne qui s’en empara et se retira sans ajouter un
mot, laissant Éochaid au comble du désespoir.
« Prends ma main, mon garçon, dit le roi à son
serviteur, et conduis-moi à la fontaine pour que je puisse laver mon visage. »
Le serviteur le mena donc jusqu’à la fontaine. Là, le roi se
versa par trois fois de l’eau sur le visage.
« L’œil est-il sorti de ma tête, mon garçon ? demanda-t-il.
– Malheur sur moi ! s’écria le serviteur. Rouge est l’eau de la fontaine à
cause de ton sang, et rouge le ruisseau qui descend jusqu’au lac ! – Tel
sera donc le nom de ce lac, dit le roi. Désormais, on l’appellera le Lac Rouge,
et chacun saura d’où lui vient cette appellation. » Et ainsi en fut-il. Mais,
en compensation du courage et de la générosité du roi qui avait donné son œil
unique pour sauver son honneur et l’honneur de son peuple, le dieu de bonté lui
rendit plus tard l’usage de ses deux yeux [94] .
Quant à Athirne, il traversa le Shannon, parvint dans la
province de Munster et se présenta chez le roi, lequel avait nom Tigernach
Tetbuillech. On l’accueillit avec courtoisie et on lui offrit ce qu’il
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