Les compagnons de la branche rouge
ma
part et délivre-leur ce message : dis-leur que j’en appelle à leur honneur
des abus du poète Athirne. Dis-leur encore que je suis prêt à discuter avec eux
et à leur offrir des compensations s’ils consentent à faire revenir chez nous
les femmes qu’il veut emmener.
Le messager alla trouver les Ulates, et le roi Conor envoya
une troupe vers le sud discuter avec Mesgegra. Pendant ce temps, les hommes de
Leinster allèrent souhaiter bon voyage à Athirne, qu’ils escortèrent jusqu’à
Tolka, au nord de Dublin. Là, il prit congé d’eux sans répondre à leurs
compliments et sans les remercier le moins du monde de ce qu’ils avaient fait
pour lui.
Quand il fut parti, les hommes de Leinster se retrouvèrent
aussi désemparés qu’ulcérés du départ forcé de cent cinquante de leurs femmes
et, finalement, honteux de leur attitude, ils décidèrent de tenter l’impossible
pour délivrer les captives et se lancèrent incontinent à la poursuite du
ravisseur. Mais celui-ci rencontra la troupe d’Ulates qu’avait envoyée Conor et,
quand il se vit menacé par les hommes de Leinster, il obligea les siens à lui
porter secours.
Or, en apprenant que les hommes de Leinster méditaient d’attaquer
Athirne, le roi Conor se retrouva fort ennuyé. Il prit donc conseil de ses
sages et de ses guerriers et les interrogea sur l’attitude à prendre. La
discussion fut âpre et mouvementée, car les compagnons de la Branche Rouge
commençaient à se scandaliser des exactions du poète Athirne, et nombre d’entre
eux souhaitaient l’abandonner à la colère des gens de Leinster.
« Voilà une chose impossible, intervint le druide Cavad.
Vous ne savez pas de quoi Athirne est capable. Dût-il être tué par l’un d’eux, il
ne manquerait pas, avant de mourir, de lancer sur nous les pires malédictions. Honte
et déshonneur, famine et grande détresse nous frapperont, si nous ne lui venons
en aide de quelque façon que ce soit, car il est de notre peuple et détient de
redoutables pouvoirs. »
Conor rassembla donc une troupe de guerriers et, en toute
hâte, s’empressa de la conduire vers le sud. Ils retrouvèrent alors Athirne et
les Ulates précédemment envoyés discuter avec Mesgegra. Mais, lors de la grande
bataille qui s’ensuivit, ils furent mis en déroute et, réduits à fuir, se
réfugièrent dans la forteresse de Dun Étair [96] , dont les hommes de
Leinster entreprirent le siège, mettant par-là le comble à la détresse des
vaincus.
Car s’ils avaient neuf troupes à l’intérieur de leur repaire,
ils n’y disposaient d’aucune nourriture ni d’aucune boisson, si ce n’est l’argile
du sol et l’eau salée de la mer. Certes, au centre même de la place, Athirne
avait massé un grand troupeau de vaches qui donnaient force lait, mais il le
réservait, ainsi que ses diverses provisions, à son seul usage et à celui des
cent cinquante femmes qu’il détenait. Quant au surplus de lait, il le déversait
par-dessus les murailles avec tant de malignité qu’aucun des guerriers de la
Branche Rouge n’en pouvait avoir l’ombre d’une goutte. Même aux blessés qu’on
lui amenait à soigner, il ne donnait rien, les laissant se vider de leur sang
sans même leur fournir la moindre boisson ni le moindre remède. Et les chefs d’Ulster
avaient beau venir en personne lui parler, ils avaient beau même l’implorer de
donner un breuvage pour le roi Conor, il refusait de les entendre et se
retranchait dans le centre de la forteresse.
Alors, Conor envoya à Émain Macha sa messagère Leborcham. Fille
de deux serviteurs du roi, elle avait un aspect peu encourageant, car non
contente d’être très grande et très maigre, elle avait les deux pieds et les
deux genoux à l’arrière, et les deux mollets et les deux chevilles à l’avant. Elle
n’en était pas moins plus rapide que le vent et capable de franchir d’un saut
les plus hautes murailles. Elle avait coutume de parcourir toute l’Irlande en
un seul jour afin de renseigner Conor sur le moindre événement survenu dans
chaque province, et elle lui contait ce qu’elle avait vu chaque soir, à la
tombée de la nuit.
Leborcham partit donc pour Émain Macha et rameuta tout ce
que l’Ulster avait de guerriers, afin qu’ils vinssent au secours du roi Conor
et des siens, pour lors assiégés en la forteresse de Dun Étair, où elle-même
retourna au plus vite avec, sur son dos, trois vingtaines de gâteaux. Sitôt
arrivée, elle
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