Les compagnons de la branche rouge
incantations magiques susceptibles de
déchaîner sur ceux-ci le déshonneur et la ruine. C’étaient en effet des hommes
fort savants que les poètes, en ce temps-là, car ils avaient appris auprès des
druides tous les secrets de la nature.
Lorsqu’un poète trouvait à redire d’un roi, il le prévenait
qu’il le frapperait de ses satires et satiriserait également son père, sa mère
et son grand-père, qu’il chanterait si habilement contre les eaux du pays que
plus jamais l’on ne pêcherait de poissons dans les estuaires, qu’il chanterait
si haut et si fort contre les forêts qu’elles ne produiraient plus jamais de
fruits, qu’il chanterait d’une voix si puissante contre les plaines que
celles-ci deviendraient stériles et ne pourraient plus nourrir les troupeaux. Aussi
les rois, non contents d’être à leurs petits soins, les priaient-ils même, parfois,
d’intervenir contre leurs ennemis en prononçant le glam dicin [91] .
En ce cas, voici comment la coutume imposait de procéder :
on commençait par jeûner dans le pays du roi pour lequel le poème devait être fait ;
ensuite, il convenait que la satire fût composée d’après les conseils et les
avis de trente sages ; là-dessus, le poète partait en personne escorté de
six de ses pairs prononcer l’incantation et escaladait, au coucher du soleil, une
colline sise à la frontière de sept pays ; une fois au sommet, chacun des
participants regardait son pays, l’officiant se réservant celui du roi qu’il
avait pour mission de satiriser, de sorte que tous tournaient alors le dos à un
buisson d’aubépine qui devait occuper le faîte ; il fallait au surplus que
le vent soufflât du nord, et que chaque poète tînt à la main une pierre de
fronde et une branche d’aubépine : dès lors, les uns après les autres
chantaient une strophe du poème maléfique au-dessus de ces deux objets, puis allaient
déposer ceux-ci sur la racine du buisson. Si leur satire était injuste, la
colline les engloutissait ; mais si, au contraire, le roi ennemi était bel
et bien dans son tort, c’est lui qu’elle engloutissait, ainsi que sa femme et
son fils, son cheval, ses armes, son équipement et son chien [92] .
Toutefois, il arrivait aussi qu’un poète se servît de ses
redoutables pouvoirs par ambition ou par intérêt personnel. Tel fut le cas de
Nédé, fils d’Adnae, qu’avait adopté son oncle Caier, roi du sud du Connaught, parce
qu’il était orphelin, et qui, devenu adulte, s’instruisit auprès des druides et
en apprit l’art des satires autant que celui des chants de gloire et de louange.
Or, la femme de Caier jeta les yeux sur lui, parce qu’il
était jeune, beau et intelligent, et elle n’eut de cesse de l’inviter à la
venir joindre en son lit. Mais comme il refusait toujours, elle offrit de lui
donner une pomme merveilleuse s’il accédait à ses désirs. Il n’en dédaigna pas
moins l’invite et repoussa le cadeau qu’elle lui présentait. Alors, elle lui
promit le trône s’il acceptait de coucher avec elle.
« N’ayant aucun droit à la royauté dans ce pays, répliqua
Nédé, je ne vois pas comment je pourrais parvenir à me l’arroger. – Ce n’est
pas difficile, dit la femme. Il te suffit de prononcer une satire devant le roi.
Une tare apparaîtra sur son visage, et tu sais bien qu’un homme ainsi affligé
ne peut demeurer roi. – Il m’est impossible de faire une chose pareille ! protesta
Nédé. Le roi me donne toujours ce que je lui demande. Ma satire n’aura donc
aucun effet sur lui, puisqu’il exaucera sur-le-champ mon souhait. – Détrompe-toi,
dit la femme, je sais un objet qu’il ne saurait t’accorder… Il s’agit d’un
poignard qu’on lui a rapporté d’Écosse. Un interdit l’empêche de s’en dessaisir
jamais. Demande-le-lui donc, et menace-le, s’il ne t’en fait don. »
Le lendemain, Nédé vint trouver le roi Caier et lui demanda
le poignard qu’il tenait d’Écosse.
« Malheur sur moi ! s’écria le roi, je ne peux pas
te le donner, il m’est interdit de m’en séparer. »
Nédé prononça alors contre lui un glam
dicin , et trois furoncles lui poussèrent sur les joues. Voici quelle
était la satire : « Mal, mort, courte vie à Caier ! que les
épées blessent Caier dans la bataille ! que Caier soit sous terre, sous
les murs, sous les pierres ! malédiction sur Caier, puisqu’il n’a pas
voulu contenter ma demande ! »
Sur ce, Caier s’en
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