Les Conjurés De Pierre
devait pas emporter. Il s’agit du Compendium theologicae veritatis . On m’a prié de le rapporter à Strasbourg.
Le bibliothécaire dit alors :
— Dieu en aura décidé autrement. Femme, vous arrivez trop tard. Voilà deux jours que Melbrüge est reparti pour Venise.
— Ce n’est pas vrai !
— Pourquoi vous raconterais-je des histoires ? Melbrüge était pressé. Je lui ai proposé de dormir ici. Il a refusé car il voulait passer le col du Tauern avant les premiers froids. Plus on avance dans la saison, plus c’est dangereux.
Afra inspira profondément.
— Je vous remercie, dit-elle résignée.
En passant le pont de bois, elle regarda d’un air totalement absent les eaux turquoise de la Salzach. Dans le silence du matin, on pouvait entendre le bruit du sable et des graviers que charriait l’eau des montagnes. Devait-elle renoncer ? N’était-il pas plus sage de laisser tomber cette affaire ?
Elle sentit un léger courant d’air. Un pigeon venait de frôler son visage. Elle le suivit des yeux et le vit s’élever à la verticale dans le ciel avant de prendre son envol vers le sud.
Gysela arrivait droit devant elle de la Bruckengasse, furieuse et mécontente :
— J’étais inquiète. Tu t’enfuis de la chambre sans rien dire à personne. Qu’as-tu donc fait si tôt ?
Afra gardait les yeux baissés. Ce n’était pas tant ces remarques qui l’intimidaient, mais la gêne qu’elle éprouvait en repensant à leur intimité de la nuit. Gysela se comportait comme si de rien n’était.
— Je suis allée au couvent Saint-Pierre pour régler une affaire. Mais je n’ai pu remplir ma mission. Je dois poursuivre mon chemin jusqu’à Venise. Nos chemins vont donc se séparer ici.
Gysela regarda Afra avec des yeux pénétrants.
— Jusqu’à Venise ? dit-elle après un instant. Serais-tu devenue folle ? N’as-tu pas entendu qu’il y a la peste à Venise ? Aurais-tu envie de te jeter dans la gueule du loup ?
— Je suis obligée d’y aller. On m’a chargée d’une mission. Et puis, cela ne sera pas si dramatique. Peut-être puis-je trouver à l’auberge quelqu’un qui traverse les Alpes dans les jours qui viennent. Je te remercie d’avoir eu la gentillesse de m’emmener jusqu’ici.
Les deux femmes se dirigèrent vers l’auberge en silence.
— Les chevaux sont attelés, dit Gysela en passant sous le porche. Tes bagages sont restés dans la chambre.
Afra hocha la tête sans dire un mot. Subitement, les deux femmes se tombèrent dans les bras en sanglotant. Afra faillit repousser Gysela, mais une petite voix lui disait que ce geste serait déplacé. Elle accepta non sans un certain embarras cette étreinte.
— Tout est prêt ! cria l’aubergiste abrégeant sans le savoir les adieux.
Gysela se figea un instant sur place.
— Nous partons toutes les deux pour Venise, annonça-t-elle à Afra.
Afra la regarda stupéfaite :
— Tu vas à Vienne ! Tu n’as aucune raison d’aller à Venise ?
— Qu’importe que je vende ma marchandise là ou ailleurs, à Vienne ou à Venise, c’est du pareil au même !
— Je ne sais pas, répliqua Afra, stupéfaite par ce revirement de Gysela. j e n’ai aucune idée du commerce. Mais tu viens précisément de me déconseiller d’aller à Venise.
— J’ai dit cela sans y réfléchir sérieusement, rétorqua Gysela en riant.
Le jour même, les deux femmes partaient pour Venise.
Le lendemain, elles atteignirent le col du Tauern par un chemin pentu et éreintant pour les chevaux. Elles durent parfois descendre, marcher à côté de la voiture et la pousser pour faciliter l’ascension.
Des voitures abandonnées et des carcasses de bêtes de traits jalonnaient le bord de la route, rappelant à chaque moment les drames qui se déroulaient fréquemment sur cette route escarpée.
Le quatrième jour, elles arrivèrent, épuisées, à Villach dans la vallée de la Drau. La petite cité devait sa prospérité aux mines dans la montagne et aux nombreux comptoirs commerciaux entretenant des relations avec Augsbourg, Nuremberg et Venise. Depuis des siècles, l’évêque de Bamberg assurait la protection de cette ville, dont il tirait quelques profits.
En arrivant sur l’accueillante place du marché, bordée d’auberges animées, les deux femmes décidèrent de se reposer là une journée.
— Le temps est clément, dit l’aubergiste en s’occupant des chevaux fourbus. Vous serez dans trois jours à
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