Les Conjurés De Pierre
qui ravageait Venise. Ses voisins de table, jusqu’à présent fort intéressés par sa conversation sur l’art et la culture de la civilisation méditerranéenne, s’éloignèrent l’un après l’autre jusqu’au moment où il se retrouva seul à un bout de table sans personne à qui parler.
Les deux femmes, rassasiées par un copieux dîner et lasses de toutes ces histoires, gagnèrent leur chambre et se couchèrent dans le lit qu’elles partageaient cette nuit comme les précédentes depuis le début de leur voyage.
Vers minuit, les cris monotones du veilleur de nuit résonnant dans la Bruckengasse éveillèrent Afra. Longtemps après que sa voix sourde et pénétrante se fut évanouie, elle ne dormait toujours pas.
Elle ne cessait de penser au parchemin et au livre qu’elle ne tarderait pas à récupérer.
Elle somnolait quand elle sentit une main caresser doucement ses seins, son ventre, s’insinuer entre ses cuisses et pétrir son entrejambe.
Afra s’éveilla en sursaut.
Jusque-là, Gysela n’avait pas laissé le moindrement supposer qu’elle puisse avoir une attirance pour son propre sexe. Afra fut d’autant plus inquiète qu’elle-même ne fit rien pour se défendre des caresses voluptueuses de Gysela. Elle accepta docilement le plaisir qu’elle lui donnait. Elle s’abandonna, lui livra son corps, finit par ouvrir ses bras, et commença même, d’abord timidement puis, avec toujours plus d’audace, à explorer les formes généreuses de Gysela.
Par tous les saints, elle n’aurait jamais cru que le corps d’une femme put lui donner autant de plaisir. Lorsque sa langue fouilla son entrejambe, elle poussa un petit cri étouffé, puis se retourna vivement sur le côté.
Afra passa le reste de la nuit les yeux grands ouverts et les bras croisés sous la nuque en réfléchissant : une femme pouvait-elle être attirée à la fois par un homme et une femme ? Ce qu’elle venait de vivre l’avait bouleversée et complètement retournée.
Comment allait-elle se comporter avec Gysela le lendemain matin ? Elle préféra quitter leur couche commune très tôt avant le lever du soleil, s’habilla et se rendit au couvent Saint-Pierre sur l’autre rive du fleuve.
Le couvent était situé à proximité de la cathédrale, au pied du Mönchsberg, incrusté dans la paroi rocheuse qui ceinturait la ville comme un rempart massif. Une porte de fer fermait l’accès au couvent où l’on s’activait déjà depuis longtemps.
De nombreux mendiants, quelques filles de joie pour qui la nuit n’avait pas été lucrative et quatre jeunes étudiants se rendant à Prague attendaient la distribution de la soupe devant le porche.
Quand Afra voulut se faufiler vers l’entrée en passant devant la file d’attente, un vieil homme édenté et déguenillé la retint : elle pouvait bien faire la queue comme tout le monde. À moins qu’elle se croie mieux que les autres avec sa jolie robe ! Heureusement, à cet instant précis, la porte s’ouvrit et les mendiants se précipitèrent à l’intérieur du couvent.
Le jeune portier, un novice, sans expérience et récemment tonsuré, regarda Afra avec un air méfiant lorsqu’elle lui fit part de son désir de rencontrer le frère bibliothécaire pour l’entretenir d’une affaire importante. Il lui dit que prime n’étant pas encore achevée, il lui faudrait pendre son mal en patience. À défaut, si elle voulait une soupe…
Afra déclina son offre en le remerciant, bien que cette épaisse soupe de féculents apportée par deux moines dans une grande marmite noire de suie répandit une odeur alléchante. Les mendiants se précipitèrent comme des bêtes sauvages sur la marmite et plongèrent dans la bouillie blanche leurs écuelles ou leurs pots ébréchés qu’ils avaient toujours avec eux.
Le frère bibliothécaire, d’allure plutôt jeune, dont les traits n’étaient pas encore marqués par l’austérité de la vie monacale, apparut enfin. Il s’enquit poliment auprès d’Afra du motif de sa visite.
La jeune femme avait préparé un mensonge de circonstance pour ne pas éveiller les soupçons du bibliothécaire.
— Un marchand de Strasbourg doit se présenter chez vous dans les jours qui viennent. Il est en chemin pour l’Italie avec une livraison d’ouvrages destinés à l’abbaye du Mont-Cassin.
— Vous parlez du jeune Melbrüge ! Que lui voulez-vous ?
— Les moines de Strasbourg lui ont donné par erreur un livre qu’il ne
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