Les Conjurés De Pierre
Salzach, qui n’était en amont de la ville qu’un torrent de montagne, devenait à partir de Salzbourg une rivière navigable permettant le transport du précieux sel extrait des montagnes.
Aux portes de la ville, elles discutèrent avec un charretier qui venait de s’écarter pour les laisser passer. Il leur conseilla de descendre à l’ a uberge du p ont. Selon lui, elles y seraient bien logées et leurs chevaux bien traités. L’arrivée de deux femmes seules sur un attelage fit moins sensation à Salzbourg que dans les villes précédentes où elles avaient fait halte.
Le patron de l’ a uberge du p ont les reçut de manière fort accueillante. Elles en furent agréablement surprises après avoir rencontré lors des dernières haltes plus de méfiance que de sympathie. Il reconnaissait au premier coup d’œil les belles et les filles de joie qui couraient les chemins, et refusait de les héberger. Rien qu’en voyant leur attelage, il avait compris que Gysela et Afra étaient des femmes respectables.
Durant leur long périple, elles avaient eu le temps de faire connaissance et se sentaient liés par un destin commun qu’elles devaient assumer seules. Toutes deux avaient perdu, certes pour des raisons différentes, leur mari. La Kuchler, légèrement plus âgée qu’Afra, avait été beaucoup plus bavarde que sa compagne qui n’avait raconté que des bribes de son passé.
Afra avait gardé pour elle le véritable motif de son voyage bien que Gysela s’en soit inquiétée à plusieurs reprises,
Lorsque les palefreniers eurent pris en main les chevaux et la voiture, elles se rendirent dans la salle de l’auberge pour se désaltérer et se restaurer.
Les clients, en majeure partie de jeunes hommes rustres, des mariniers descendant la Salzach avec leurs barges chargés de sel, ouvrirent des yeux ronds et ahuris en voyant deux femmes seules entrer. Certains échangèrent des gestes et des sourires entendus.
Le silence se fit dans la salle jusqu’au moment où Gysela, qui avait pris place au bout de la longue table, leur lança :
— Auriez-vous avalé votre langue ? Vous n’avez donc jamais vu deux honnêtes femmes, ou quoi ?
L’entrée en matière assez directe désappointa les hommes qui s’empressèrent de reprendre les conversations et, quelques instants plus tard, les mariniers ne s’occupaient plus d’elles.
Ce genre d’auberge était un lieu propice aux échanges de nouvelles. Certains voyageurs ne livraient leurs secrets qu’en contrepartie d’un plat et d’une boisson. Pour manger à l’œil, ils étaient prêts à inventer de toutes pièces des meurtres n’ayant jamais eu lieu et des miracles ne s’étant jamais accomplis.
Mais le peuple, du mendiant jusqu’au noble, se régalait de ces anecdotes. Quand bien même elles s’avéreraient fausses, elles servaient simplement de prétextes à la conversation.
Un marinier, ayant connu des jours meilleurs comme l’indiquait son habillement, annonça avec la voix inspirée d’un prédicateur qu’il avait vu de ses propres yeux à Vienne un homme voler dans le ciel dans une sorte de cerf-volant en toile.
Pour réaliser cet exploit, il avait suffi d’allumer un feu sous le cerf-volant qui, sous l’effet de la chaleur, s’était élevé dans les airs avant de se poser quelques pas plus loin sur la terre. Un marchand venant du Nord avait surenchéri : selon lui, l’arbalète serait une arme totalement dépassée dont on ne se servirait plus à l’avenir pour faire la guerre. On utiliserait dorénavant des canons capables de lancer sur l’ennemi des boulets d’une livre à une distance d’une demi-lieue…
Afra tressaillit malgré elle lorsqu’un voyageur se mit à parler d’Ulm, la première ville d’Allemagne interdisant les cochons et les volailles dans les rues. On espérait ainsi endiguer l’épidémie de peste qui faisait actuellement des milliers de morts en France et en Italie.
À cette époque, la peste était le sujet principal des conversations entre voyageurs. Chaque jour, un nouveau foyer de la redoutable maladie pouvait se déclarer ici ou là.
Les marchands et le peuple des errants contribuaient à répandre le bruit que cette maladie mortelle se propageait de pays en pays à la vitesse du vent.
Un universitaire vêtu tout de noir, magistère des arts à en croire son col blanc et ses grands revers de manche, éveilla la méfiance lorsqu’il annonça fièrement avoir échappé à la peste
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