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Les Conjurés De Pierre

Les Conjurés De Pierre

Titel: Les Conjurés De Pierre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philipp Vandenberg
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des grabats couverts de paille qui, à en croire l’odeur qu’elle dégageait, datait de la moisson de l’année passée.
    Et pour couronner le tout, les deux femmes durent partager la chambre avec une famille nombreuse originaire de Trieste, qui séjournait là depuis trois semaines en attendant que l’interdiction de quitter la ville soit levée.
    Les conditions étaient sommaires mais Afra s’en arrangea fort bien. Elle n’aurait pas apprécié de passer la nuit seule avec Gysela. Elle se sentait observée et ne savait quelle attitude adopter.
    Le lendemain, Gysela et Afra se mirent d’accord pour vaquer à leurs occupations chacune de leur côté. Le ton entre elles deux s’était considérablement refroidi. Gysela s’abstint volontairement de se renseigner sur les projets d’Afra.
    Où allait-elle chercher Gereon Melbrüge ? Venise était l’une des plus grandes villes du monde, comptant plus d’habitants que Milan, Florence et Gènes réunies. La recherche du marchand de Strasbourg allait s’avérer difficile.
    Afra doutait que Gereon ait pu réussir à pénétrer dans Venise. Car sans l’aide d’un Jacopo évoluant dans la lagune comme un poisson dans l’eau, il paraissait impossible de passer de la terre ferme à la ville.
    Les bateaux rapides des gardes patrouillaient constamment le long de la côte.
    Et si les marchands n’obtempéraient pas aux injonctions, les gardes tiraient sur les récalcitrants des flèches enflammées incendiant les marchandises et coulant corps et biens les embarcations.
    Un demi-siècle plus tôt, la peste noire avait déjà décimé la moitié de la population de Venise.
    Des bateaux en provenance de lointaines contrées, transportant dans leurs cales des milliers de rats, avaient introduit l’épidémie sur l’île.
    On pouvait voir dans les rues des fresques et des plaques de pierre commémorant la peste et les milliers de morts qu’elle avait causés.
    À grand renfort de prières à saint Roch et à saint Borromée, de fumigations préconisées par des herboristes et de précautions prises au moment des déchargements des bateaux, la ville croyait avoir une fois pour toutes éradiqué la maladie, lorsque, subitement, cinquante ans plus tard, alors qu’ils se croyaient à l’abri, les Vénitiens avaient croisé des hommes aux cous enflés, aux visages et aux corps boursouflés, marqués par l’anthrax. On les voyait un matin en parfaite santé et, le lendemain, on les retrouvait morts.
    Pestilenza ! L’avertissement sinistre courait de rue en rue et ricochait sur les murs des maisons, laissant présager l’issue fatale qui attendait tout un chacun.
    Quelle mouche avait bien pu piquer Afra pour qu’elle prenne le risque de rentrer dans la ville en quarantaine ? La voilà maintenant déambulant dans les rues enfumées. Les Vénitiens, angoissés, essayaient de combattre la mort en faisant brûler de mystérieuses plantes qu’ils payaient des sommes faramineuses.
    Les effets restaient limités. À mesure qu’Afra approchait du r ialto où étaient installés les riches marchands et négociants, elle voyait de plus en plus d’hommes, de femmes et d’enfants encore blottis dans les bras de leur mère, étendus par terre, le regard fixe et la bouche grande ouverte. Apparemment sans vie mais pas encore tout à fait morts.
    Un médecin, vêtu d’un long manteau noir avec un grand col relevé, coiffé d’un chapeau à larges bords, le visage dissimulé par hygiène derrière un masque d’oiseau, passait de l’un à l’autre. Il tâtait les corps du bout de son bâton en quête d’un signe quelconque de vie. S’il observait un mouvement, il sortait une fiole remplie d’un liquide blanchâtre dont il faisait couler une goutte dans la bouche ouverte.
    À défaut de réaction, il dessinait avec une craie sur le pavé une croix à l’attention des croque-morts.
    Les beccamorti n’effectuaient leur besogne que dans un état d’ébriété avancé. l e parlement de la ville soudoyait cette main-d’œuvre si difficile à trouver en lui distribuant des quantités excessives d’eau-de-vie. On les voyait tituber ivre morts entre les timons de leurs carrioles sur lesquelles ils chargeaient les cadavres pour les acheminer vers les bûchers.
    Sur chaque place, on entretenait des feux que venaient alimenter ces torches humaines. Les corps se cabraient dans la fournaise comme s’ils refusaient cette atroce fin.
    En voyant ces vieillards, dont la barbe

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