Les Conjurés De Pierre
pourquoi a-t-il fait cela ?
Le moine secoua la tête.
— Nous ne le savons pas. Frère Jean donnait parfois l’impression de ne pas appartenir à notre monde, cela était sans doute dû à ses recherches, s’aventurant entre l’ici et l’au-delà, dans des contrées qu’un chrétien ferait mieux d’éviter.
— Et comment a-t-il…
— Avec du poison ! Frère Jean s’est administré l’un des nombreux élixirs qu’il préparait dans son laboratoire.
— Et vous êtes bien sûr qu’il s’est vraiment donné la mort ?
Frère Athanase hocha la tête lentement.
— Absolument sûr. Il ne sera pas inhumé dans la crypte de l’abbaye. L’ é glise interdit d’enterrer dans la terre sacrée celui qui s’ôte la vie.
— La loi est sévère. Vous ne trouvez pas ?
Le vieux moine grimaça comme pour lui faire comprendre qu’il ne partageait pas son avis :
— Ils ont jeté son corps au pied des murailles derrière l’abbaye et ils l’ont enterré à la va-vite dans les buissons, répondit-il froidement sans la moindre émotion apparente.
— Et c’est ce que vous appelez l’amour du prochain ! s’écria Afra, bouleversée et révoltée.
Elle se leva et quitta la salle à manger sans ajouter un mot.
Frère Athanase, les coudes posés sur la table, cala le menton dans ses mains et regarda devant lui sans laisser transparaître aucune émotion.
Aux premières heures du jour, Afra attela son cheval et quitta l’abbaye du Mont-Cassin en direction du Nord.
11
Le baiser du cracheur de feu
Lo rsque l’attelage à six chevaux de l’ambassadeur s’approcha des portes de la ville, les premiers rayons du soleil illuminaient déjà les remparts. L’éclaireur, juché sur le cheval d’Afra, prenait des poignées de petits cailloux dans une sacoche de cuir qu’il jetait sur la foule en criant pour qu’elle s’écarte sur le passage de la voiture de son maître.
Seize jours s’étaient écoulés depuis qu’Afra avait quitté le Mont-Cassin. Elle n’aurait jamais imaginé que son trajet de retour s’effectuerait dans des conditions si agréables. Durant les sept premiers jours du voyage, elle avait essuyé de grosses tempêtes qui avaient considérablement ralenti son allure. Les pluies printanières continuelles avaient rendu la plupart des routes impraticables.
Dans les environs de Lucca, une roue de sa voiture se brisa. Les rayons étaient cassés et l’essieu endommagé. Comment allait-elle faire pour poursuivre son voyage ? Une heure à peine après cet accident, vint à passer une somptueuse voiture précédée d’un éclaireur.
Afra n’osa pas faire signe à ces nobles voyageurs. Et l’attelage passa son chemin. Quelques mètres plus loin, elle vit le cocher immobiliser la voiture. Un homme d’allure distinguée en sortit et demanda à Afra s’il pouvait lui être utile. Après avoir examiné les dégâts, l’homme, qui se rendait à Constance, proposa à Afra de l’emmener dans sa voiture, en échange de quoi, elle pourrait mettre son cheval à la disposition de son éclaireur dont la monture boitait depuis la veille.
Faute de mieux, Afra dut se résoudre à accepter cette offre qui tombait au demeurant fort bien.
Par chance – le hasard aurait-il pour une fois bien fait les choses ? – elle avait troqué la veille ses vêtements d’homme contre une robe. Et dans cette tenue, quand même plus décente pour une femme, elle pouvait présenter le sauf-conduit que lui avait fait établir le plénipotentiaire Paolo Carriera.
Lorsque la jeune femme cita le nom de Carriera, l’ambassadeur se montra ravi ; Carriera était un de ses amis, lui-même était au service du roi de Naples qu’il allait représenter au concile.
Il s’appelait Pietro de Tortosa.
Le gentilhomme, accompagné de son secrétaire et de son valet, se révéla par la suite un homme d’agréable compagnie. Il allait de soi, c’était même un honneur pour lui de voiturer Afra jusqu’à Constance. Afra voulut lui faire cadeau de son cheval dont elle n’avait plus l’utilité. Mais Pietro de Tortosa n’accepta son offre qu’à condition d’acheter la bête à son juste prix. Messire Pietro lui proposa vingt ducats d’or.
Le cheval avait beau être une excellente monture, Afra trouva la somme un peu disproportionnée.
Ils passèrent sans encombre Gênes, Milan et franchirent les cols des Alpes par un beau temps froid et ensoleillé. Une fois arrivés en Suisse, les conditions
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