Les Conjurés De Pierre
de voyage s’améliorèrent de jour en jour.
Afra était profondément reconnaissante envers Pietro de Tortosa car sans son aide – elle en avait pris conscience durant les derniers jours – elle n’aurait jamais pu accomplir un tel voyage.
Elle se méfiait néanmoins toujours de lui lorsque l’attelage passa sous la porte de Kreuzling.
Le sauf-conduit portant la signature et le sceau du roi de Naples en personne limita les formalités d’entrée au strict nécessaire et lui valut d’être saluée respectueusement par les hallebardiers montant la garde au pied de la tour.
Seuls les hauts dignitaires ecclésiastiques, les curés, les évêques, les cardinaux ainsi que les ambassadeurs extraordinaires de pays européens avaient l’autorisation de franchir les enceintes de la ville en voiture.
Il y avait foule à Constance qui comptait déjà en temps normal quatre mille habitants.
La petite cité aux allures romantiques abritait pour l’heure quarante ou cinquante mille personnes installées dans ses murs depuis que le pape de Rome l’avait choisie, à la surprise de tous, pour tenir le seizième concile œcuménique.
Cette ville libre sur les rives du lac de Constance, qui avait toujours eu la réputation d’être beaucoup plus entreprenante que la plupart des autres cités de l’empire, redoublait pour l’occasion d’esprit d’initiative. Les bourgeois louaient presque tous leurs maisons aux participants du concile, ils s’apprêtaient à vivre pour les quelques années que durerait l’assemblée, soit à l’extérieur de la ville sous des tentes, voire dans des tonneaux, soit entassés les uns sur les autres dans de minuscules chambres en partageant le même lit à deux ou trois personnes. Sacrifiant leur confort au veau d’or, certains campaient dans les étables, dans les écuries et même dans les églises de la ville.
L’ambassadeur extraordinaire du roi de Naples avait loué un étage complet de la m aison h aute sur le marché au poisson, située à quelques pas de l’église. La maison devait son nom à ses deux étages qui dominaient le reste des bâtiments environnants.
Son propriétaire, un riche marchand, le dénommé Pfefferhart, arborait sur ses armoiries trois pots de poivre. Les jaloux, dont ne manque jamais une petite ville, prétendaient qu’il s’agissait en réalité de tirelires dans lesquelles l’avare conservait ses économies.
Pfefferhart avait la réputation de ne jamais manquer une occasion de gagner de l’argent. Son fils étant absent et ses filles célibataires menant une vie pieuse, mais hélas guère lucrative dans l’abbaye cistercienne de Feldbach, il pouvait louer sa maison pour toute la durée du concile.
Pietro de Tortosa mit une chambre à la disposition d’Afra en attendant qu’elle ait pris ses dispositions. Afra était bien placée pour savoir que les cadeaux sont rarement, vraiment très rarement, désintéressés.
Et donc, au lieu d’être reconnaissante envers son noble bienfaiteur, elle n’éprouvait que méfiance à son égard. Mais enfin pour l’instant, elle était logée et ce, tout à fait confortablement.
L’agitation en ville ne cessait de croître. La plupart des cardinaux, évêques, hauts dignitaires ecclésiastiques, abbés, prélats, archidiacres, archimandrites, métropolites et patriarches, théologiens et exégètes sans compter les ambassadeurs des grandes maisons d’Europe étaient désormais arrivés. Même le roi Sigismond voulait assister à l’assemblée. Tous attendaient dans une grande effervescence l’arrivée du p ape romain répondant au nom de Jean XXIII comme il l’avait lui-même choisi. L’avant-garde de s a s ainteté arrivant de Bologne avait annoncé l’imminence de son arrivée. Le bruit courait toutefois que le représentant de Dieu sur terre, comme il aimait à se qualifier, se ferait encore attendre un peu.
Sa s ainteté serait responsable de ce retard, car elle aurait pris le temps d’honorer de son saint sperme assorti d’une indulgence plénière quelque trois cents nonnes d’une abbaye. Il n’avait fait là évidemment que son devoir de chrétien. Or aimer son prochain est une entreprise qui requiert parfois du temps.
Les rumeurs précédant l’arrivée du pontife romain jouaient en sa défaveur. D’aucuns auraient prétendu que ses concurrents, les antipapes Benoît XIII et Grégoire XIII, qui n’avaient envoyé que des observateurs à Constance, valaient mieux. Mais
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