Les Conjurés De Pierre
intitulé Des expériences, somme toute naturelles, effectuées par le roi Salomon lorsqu’il brigua l’amour d’une noble reine .
— Pourquoi avez-vous si peu de livres en allemand traitant de sujets primordiaux pour vos travaux ? demanda Afra.
Rubaldus parcourait du regard les étagères sans se laisser distraire, cherchant manifestement un ouvrage précis. Sans détourner les yeux, il répondit :
— Notre langue est si pauvre et si vieillotte que bien des mots font défaut pour nommer une chose ou une autre. N’ayant pas de termes correspondant à lapidarium , necromantia , ou même alchimia , elle a recours à de longues périphrases.
Rubaldus trouva ce qu’il cherchait plus vite que prévu. Il toussait comme s’il était gêné par la fumée. Il dégagea un petit opuscule coincé dans une pile, qui tomba en soulevant un nuage de poussière dont il ne se soucia guère.
Rubaldus posa bien à plat le petit exemplaire relié avec des petites ficelles et se mit à lire. Il grimaçait sans raison apparente, ses lèvres articulaient des sons inaudibles, comme un homme pieux qui récite son chapelet à voix basse.
— Bon, alors, allons-y ! dit-il.
Il prépara une coupelle et prit dans les étagères une demi-douzaine de flacons et de fioles.
À l’aide d’un verre gradué qu’il tendait régulièrement à la lumière, il versa différentes quantités de liquides dans la coupelle.
Le mélange changea plusieurs fois de couleur ; de rouge, il vira au brun avant de devenir mystérieusement translucide.
L’occasion d’observer un alchimiste à l’œuvre se présentait rarement. Afra trépignait d’impatience et, dans sa fébrilité, elle se signa. Quand avait-elle fait un signe de croix pour la dernière fois ?
Rubaldus remarqua son geste de recueillement ou de dévotion mais ne s’interrompit pas. Il sourit dans son for intérieur.
— Faites encore un signe de croix si cela peut vous faire du bien. Pour moi, il n’est d’aucun secours. Ce qui se produit ici ne relève pas de la foi, mais de la science. Et la science est, comme chacun le sait, l’ennemie de la foi.
— Si je puis me permettre une réflexion, intervint Ulrich, je m’attendais à entendre plus de formules magiques.
L’alchimiste fit une pause, inclina la tête au point que son bonnet alla presque toucher terre :
— Pour un malheureux florin, je ne tolérerai pas le moindre outrage, maître Ulrich. Il ne s’agit pas ici de sorcellerie mais de science. Allez au diable avec votre stupide parchemin ! Que m’importe ! grommela-t-il.
— Ce n’est pas ce qu’il voulait dire, reprit Afra pour calmer l’alchimiste.
— Non, vraiment pas, renchérit maître Ulrich. Mais on dit tellement de choses à votre sujet…
— On en dit tout autant de vous et de votre architecture, s’emporta Rubaldus. On prétend que vous avez caché de l’argent et de l’or dans les murs de votre cathédrale. Certains déclarent même que vous auriez emmuré une femme vivante.
— Des inepties que tout cela ! s’écria à son tour maître Ulrich.
Rubaldus lui coupa la parole :
— Vous voyez, l’alchimie est logée à la même enseigne. On raconte des aberrations sur des gens comme moi. Pourtant, je suis sorti du ventre de ma mère comme n’importe lequel d’entre nous. Si je ne découvre pas l’élixir de longue vie, je mourrai comme n’importe lequel d’entre nous.
Afra ne suivait que d’une oreille les paroles de l’alchimiste.
— Faites, je vous en prie, le pressa-t-elle.
Rubaldus semblait avoir enfin terminé sa préparation.
— Posez le florin sur la table ! ordonna-t-il à Ulrich, tout en articulant bien chaque mot et en tapotant du bout de son index le dessus de la table.
— Auriez-vous imaginé que nous ayons pu chercher à vous rouler dans la farine ? s’enquit l’architecte exaspéré.
L’alchimiste haussa les épaules et l’on vit disparaître son visage dans son col jusqu’à la racine du nez.
Maître Ulrich prit dans sa bourse une pièce qu’il fit tourner sur la table entre le pouce et l’index comme une toupie, jusqu’à ce qu’elle s’immobilise en cliquetant.
L’alchimiste poussa un grognement de satisfaction et se remit au travail. Il versa quelques gouttes de la solution sur un morceau de tissu avec lequel il tamponna délicatement, par petites touches, le parchemin. Les yeux d’Afra brillaient d’impatience.
Elle se tenait à droite de maître Rubaldus en
Weitere Kostenlose Bücher