Les Conjurés De Pierre
demanda-t-il sèchement.
— Un florin.
— Vous êtes fou. Un tailleur de pierre n’en gagne pas tant en un mois de travail !
— Oui, mais un tailleur de pierre n’est pas capable de révéler ce qui est invisible à l’œil nu. De quoi s’agit-il exactement ?
Afra sortit le parchemin de son étui et le tendit à l’alchimiste. Il prit le document du bout des doigts et l’examina. Puis il le tint en hauteur à la lumière et le retourna.
— Il n’y a aucun doute. Il y a quelque chose d’inscrit sur ce parchemin qui doit être très ancien.
Ulrich regarda Rubaldus avec un air interrogateur.
— Alors, le maître de l’alchimie, tu auras ton florin si tu réussis à faire apparaître sous nos yeux le texte du parchemin.
Tandis qu’il parlait, apparut dans le petit escalier menant à l’étage, une grande femme vêtue d’une longue tunique, ayant certainement deux têtes de plus que l’alchimiste.
— C’est Clara, fit Rubaldus sans plus de commentaires, tout en levant – allez savoir pourquoi ? – les yeux au ciel. Clara sourit aimablement et disparut en silence par une porte latérale.
— Suivez-moi, fit Rubaldus en désignant l’escalier en bois mal dégrossi menant à l’étage.
À chacun de leurs pas, les marches poussaient des gémissements et des craquements comme si elles souffraient.
Afra n’était jamais entrée dans la cuisine d’un alchimiste. La pièce sombre lui parut inhospitalière. Elle tomba en arrêt devant cette multitude d’ustensiles dont elle ne connaissait ni les noms ni les fonctions.
Sur des étagères s’entassaient des bocaux de verre et des pots de terre au contenu assez indéfinissable, des récipients renfermant des herbes séchées, des baies et des racines qui répandaient des senteurs âcres. Sur les étiquettes, écrites à la va-vite, on pouvait lire : belladone, jusquiame noire, pavot, baie de houx, ciguë ou euphorbe.
Et puis, il y avait dans de grands bocaux de verre remplis de liquide jaune et vert des choses qu’elle n’avait encore jamais vues : des scorpions, des sauriens, des serpents, des scarabées et des embryons.
En approchant, elle découvrit dans un des bocaux un homoncule, une sorte d’être humain, grand comme une main avec une énorme tête difforme et des membres rabougris.
Afra eut un mouvement de recul et d’effroi en se retrouvant nez à nez devant la gueule grande ouverte d’un gros lézard plus long que le bras d’un adulte.
Rubaldus rit discrètement de sa frayeur.
— N’ayez pas peur, ma chère, l’animal est mort depuis vingt ans et empaillé. C’est ce qu’on appelle un crocodile. Il vient d’Égypte où il est considéré comme un animal sacré.
Afra avait une toute autre conception du sacré, qu’elle imaginait beau, noble, digne de vénération, en somme, sacré.
Les remarques de l’alchimiste la plongeaient dans la confusion. Elle chercha la main d’Ulrich.
Il régnait dans la pièce, sous les grosses poutres de la charpente, un profond silence. On aurait pu entendre brûler la flamme sous le petit ballon de verre.
De la cornue sortant du ballon parvenait un bruit régulier de gargouillis.
— Donnez-moi le parchemin, dit l’alchimiste à Afra.
— Êtes-vous certain de ne pas faire disparaître à jamais l’écriture ?
Rubaldus répondit par un hochement de la tête.
— Dans la vie, nous n’avons qu’une seule et unique certitude, celle de notre mort. Je vais faire en sorte de procéder avec prudence. Allez, donnez-le-moi !
L’alchimiste étala sur la table un morceau de feutre sur lequel il fixa, à l’aide de fines épingles, les quatre coins du parchemin. Puis il s’avança vers un mur où s’entassaient de multiples livres, rouleaux et feuilles de papier. Comment, diantre, un homme pouvait-il s’y retrouver dans un tel désordre ? Le nom des auteurs et le sujet des ouvrages, au contenu énigmatique pour le commun des mortels, étaient inscrits à l’encre marron sur le dos de chaque livre dans une écriture qu’Afra trouva aussi hésitante que celle d’un jeune enfant. Elle fut frappée par certains titres étranges en latin comme De lapidibus , De occultis operibus naturae , Tabula Salomonis ou encore Thesaurus nigromantiae, ainsi que par certains noms d’auteurs tels que Konrad von Vallombrosa, Nicolaus Eymericus, Alexander Neckham, Johannes von Rupescissa ou Robert von Chester. Son attention fut attirée par le seul ouvrage en allemand
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