Les Conjurés De Pierre
temps et d’argent. Pensez à la construction d’un simple mur, la première rangée de pierres est vite posée, la deuxième et la troisième suivent dans la foulée, mais dès que le mur atteind la taille d’un homme, la construction se ralentit et devient plus compliquée. Il faut un échafaudage et une grue pour hisser les pierres. L’érection d’une tour nécessite de mettre en œuvre des moyens extraordinaires.
Michel Mansfeld acquiesça d’un air compréhensif. Il regarda l’architecte droit dans les yeux et lui demanda :
— Et quelles sont vos prétentions pour ce travail ?
Ulrich s’attendait évidemment à la question.
— Pour chaque pied ajouté à chaque tour, vous me donnerez un florin d’or. Je sais que cela représente une grosse somme si les tours atteignent les cinq cents pieds de haut. Mais vous ne courez aucun risque. Vous ne paierez que ce que vous verrez concrètement, sans tenir compte du projet initial que j’ai en tête, répondit-il avec assurance.
Michel Mansfeld réfléchit. Aucun architecte n’avait jamais encore exigé pareille rémunération. Mais étant pressé, il manda son secrétaire.
Lorsque l’homme arriva vêtu d’un pourpoint mi-long d’où ressortaient deux jambes fluettes, il s’assura à nouveau des prétentions d’Ulrich :
— Vous êtes sérieux ?
— Absolument sérieux, confirma maître Ulrich.
L’ammeister tendit le bras vers le secrétaire :
— é crivez : les bourgeois de Strasbourg, ville libre de l’empire, représenté par Michel Mansfeld, lui-même ammeister, passent avec Ulrich von Ensingen, ce troisième jour après le cinquième dimanche de carême, le contrat suivant. Point. L’architecte Ulrich, venant d’Ulm en compagnie de son épouse Afra, résidant actuellement dans la Bruderhofgasse, reçoit la mission d’élever pour la plus grande gloire de Dieu les tours de notre cathédrale, dont la hauteur ne devra pas excéder les cinq cents pieds. Nous mettons à sa disposition mille ouvriers et lui accordons une rémunération d’un florin d’or par pied de hauteur. Point.
— … un florin d’or par pied. Point, répéta le secrétaire.
— Faites-en une copie, lui ordonna Mansfeld, de telle sorte que nous puissions disposer d’un exemplaire chacun.
Le secrétaire exécuta les ordres. Puis il saupoudra les deux parchemins de sable, souffla pour éliminer le surplus qui s’éleva comme un nuage de poussière dans la pièce.
— Signez ici ! dit Michel Mansfeld en tendant par-dessus la table à Ulrich le premier exemplaire, puis le second. Après que l’architecte eut apposé sa signature sur le parchemin, il inscrivit la sienne.
— Désormais, tout ira mieux, lui dit Afra quand il rapporta la bonne nouvelle à la maison.
Elle se complaisait dans le rôle de l’épouse de l’architecte et quand bien même ce ne serait qu’un rôle, Afra couvait l’espoir de mener à partir de maintenant une vie plus sereine.
Ulrich passa les jours suivant Pâques et certaines nuits aussi dans le bureau de chantier installé dans une chapelle latérale de la cathédrale. Il y retrouva les anciens plans de maître Erwin. Les parchemins, bien que jaunis, donnaient néanmoins des indications précieuses : l’église avait été construite pour une part sur les fondations d’un édifice ancien, l’autre moitié s’appuyait sur de solides poutres de frêne qui s’enfonçaient dans la terre à une profondeur de trente pieds.
Maître Erwin n’avait malheureusement pas tenu compte dans ses calculs de la construction d’une ou de deux tours. À moins que, s’étant tellement embrouillé dans ses opérations, il ait tout simplement renoncé à envisager de les construire.
Quelques jours plus tard, Ulrich gravit les marches montant à la balustrade au-dessus du portail occidental en compagnie d’Afra. Il avait apporté une planchette et un fil à plomb.
Contrairement à Ulm, où l’ascension était périlleuse à cause de l’instabilité des échelles, c’était ici presque un plaisir de monter tout en haut.
De là, on jouissait d’un panorama analogue à celui qui s’offre au sommet d’une haute montagne, située en l’occurrence ici, au cœur de la ville.
Tout en bas, le lacis de ruelles ressemblait aux fils d’une toile d’araignée et les toits avec leurs faîtages pointus à des tentes.
Couverts, pour la plupart, de chaumes ou de bois, il suffisait d’un rien pour qu’ils prennent feu.
On
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