Les conquérants de l'île verte
livrèrent une grande
bataille au cours de laquelle furent tués les deux chefs des Fomoré.
Nemed défricha douze plaines sur cette île, et il y éleva de
grands troupeaux. Lorsque mourut l’un de ses fils, qui avait nom Annind, on
l’enterra dans l’une de ces plaines. Mais, quand on eut creusé le sol pour
préparer la tombe, un lac jaillit et envahit tout le pays. Et, par la suite,
trois autres lacs surgirent de la terre. Nemed mourut bientôt d’une maladie qui
fit également périr deux mille des siens.
Quand les Fomoré apprirent que Nemed, fils d’Agnoman, était
mort, ils réunirent leurs flottes et s’en allèrent combattre les enfants de
Nemed. Les chefs des Fomoré étaient alors Morc, fils de Déla, et Conan, fils de
Fébar. Ce dernier avait construit une grande tour sur une petite île, au milieu
de la mer, et c’est là que se réunissaient les navires des Fomoré. Cette tour
était appelée la Tour de Conan, mais on lui donne également le nom de Torinis,
c’est-à-dire la Tour de l’Île. Et comme les Fomoré étaient en plus grand nombre
que les enfants de Nemed, ils remportèrent la victoire et imposèrent de lourds
tributs aux hommes d’Irlande : ceux-ci devaient en effet leur apporter
chaque année les deux tiers du blé et du lait qui étaient produits dans cette
île et leur livrer en esclavage les deux tiers de leurs nouveau-nés.
La colère et la honte saisirent alors les hommes d’Irlande,
et ils se demandèrent comment se soustraire au poids d’un pareil tribut. Ils se
réunirent en secret et décidèrent d’attaquer par surprise les Fomoré. Ils
étaient trois mille sur le rivage, mais trois mille autres s’embarquèrent, conduits
par le fils de Nemed, Fergus au côté rouge. Ils arrivèrent bientôt à Torinis
et, au terme d’une rude bataille, finirent par prendre d’assaut la tour, où
Fergus au côté rouge en personne tua Conan. Alors, ils revinrent en Irlande
pour célébrer leur victoire.
Morc, fils de Déla, fut plein de colère quand on lui annonça
le désastre de la Tour de Conan. Il résolut de tirer vengeance des hommes
d’Irlande qui avaient outragé les Fomoré et refusaient maintenant de leur payer
tribut. Il rassembla soixante navires et s’approcha des côtes d’Irlande. Les
fils de Nemed rassemblèrent à nouveau leurs troupes et s’en allèrent sur la mer
à la rencontre des Fomoré. La bataille fut rude et sanglante, et la tempête
submergea si bien les navires des hommes d’Irlande qu’un seul en réchappa,
lequel avait à son bord trente hommes, entre autres Semeon, fils de Sdarn,
lui-même fils de Nemed, Bethach, fils du devin Iarbonel, également fils de
Nemed, avec son fils Ibath, ainsi que Fergus au côté rouge, qui était le plus
jeune fils de Nemed [29] .
Les survivants regagnèrent l’Irlande et s’en furent trouver
Fintan, fils de Bochra, qui vivait sur le flanc d’une montagne. Fintan avait la
réputation d’être un sage et un voyant, et l’on disait qu’il était pleinement
au fait de la naissance du monde et de son avenir. Quand Fintan vit arriver les
enfants de Nemed, il leur dit :
« Soyez les bienvenus, hommes puissants et courageux
sur qui s’est répandu l’Esprit [30] .
Quelle est donc la raison de votre présence ici dans ma demeure ? Est-ce
pour cause de guerre, de combat, de bataille, ou bien parce que vous ne savez
pas quel est votre destin ? – Le besoin qui nous a menés ici, ô Fintan,
toi qui es sage et avisé, c’est la décision que nous devons prendre à propos
des Fomoré. Ils nous tiennent dans l’oppression après nous avoir tué bon nombre
de braves guerriers, et ils nous soumettent à un lourd tribut que nous ne
pourrons guère supporter longtemps. – Je ne saurais vous dire autre chose que
ceci, brillants fils de Nemed : ne supportez plus votre malheur, ne
supportez plus l’oppression des Fomoré. Quittez cette île et allez vous établir
ailleurs dans le vaste monde. – Est-ce donc le conseil que tu nous donnes, ô
Fintan ? répondirent les enfants de Nemed. Devons-nous quitter ce pays qui
est le nôtre ? – En vérité, reprit Fintan, c’est le seul conseil que je
puisse vous donner. Mais j’ai encore autre chose à vous dire : n’allez pas
tous dans la même direction ou par une seule route, car on sait bien qu’un
grand rassemblement d’hommes attire le conflit. Il ne peut y avoir de foule sans
qu’éclate querelle pour une raison ou pour une autre. Il ne peut y avoir
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