Les dîners de Calpurnia
légitime défense... Ce drame a profondément marqué le jeune Néron, sans l'empêcher au début d'accomplir son devoir d'empereur libéral et clément. Rome alors respirait, oubliait les dictatures incohérentes qu'elle avait vécues sous Tibére et Caligula. Et prés de César se trouvaient deux hommes exceptionnels : Burrhus et Sénéque, ses anciens précepteurs devenus conseillers.
Calpurnia rencontra Valerius aux thermes, un soir o˘, assise sur une margelle de la palestre, elle regardait en
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compagnie de son amie Tarlentia un groupe de dames se dépenser à
l'harpastum*.
Le teint h‚lé, ses cheveux noirs un peu longs pour l'époque, il pouvait avoir une vingtaine d'années. Arrivé à hauteur des jeunes filles, il rejeta l'endromide sur son épaule musclée et salua Tarlentia qu'il connaissait depuis sa tendre jeunesse :
- Bonjour, ma belle, dit-il. Tu sais que je te chante dans mes poémes. Toi seule fournis à mon talent une vraie source d'inspiration.
- Vil flatteur ! Tu te moques de moi ! quand honoreras-tu la promesse que tu m'as faite, il y a au moins trois mois, de me conduire au cirque ?
Tiens, peut-être qu'elle te plaira plus que moi, je te présente mon amie Calpurnia. C'est la niéce de Sevurus, l'architecte de la Maison Dorée.
- C'est vrai que tu es séduisante, Calpurnia, dit Vale-rius. Dés que je serai rentré, j'écrirai une élégie pour célébrer ta beauté de déesse, ton cou de cygne et ta silhouette d'amphore. Tu es née pour être la gloire unique des jeunes Romaines.
- Ne fais pas trop attention à ses propos. C'est un poéte qui ne parle et n'écrit que dans l'emphase du dithyrambe. Par chance, Néron aime ses vers.
Il est un habitué du palais et te fera peut-être convier à un dîner au Palatin.
- Pour rien au monde je n'introduirais cette pure beauté dans le stupre du palais. Néron serait capable de la fixer à travers son émeraude et de l'inviter à sa table. Et si ce n'est Néron, ce sera un de ces sénateurs ventripotents amateurs de chair fraîche ! La cour impériale me fait horreur. A part cette malheureuse Actée2 qui se languit d'amour pour César aprés avoir été rejetée de son lit,
1. Jeu qui se disputait à l'aide d'une balle bourrée de sable.
2. Jeune esclave grecque d'une grande beauté qui fut le premier amour de Néron. Rare figure humaine et touchante dans l'univers impérial, " qui aura racheté toutes les vilenies du siécle ", comme écrit François Fontaine dans son excellent récit Vingt Césars et trois Parques.
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-f ne vois aucune figure propre dans cette foule de richis-
- TICS mendiants... Ce langage rappelait à Calpurnia le discours de Celer.
- le songea un instant à celui qui, à cette heure, devait
- core travailler au chantier, puis elle demanda trés vite, ~ regardant Valerius dans les yeux :
- Alors, pourquoi te rends-tu au palais ?
- Eh ! Comment peut vivre à Rome un jeune poéte
-ans un as ? C'est une chance que Néron aime mes vers. me récompense généreusement quand je viens les réci-r à un banquet mais ne me donne rien lorsqu'il me les le car il oublie aussitôt que ces vers ne sont pas de lui.
- Il n'a donc pas le talent qu'on lui prête ?
- Si, il n'en manque pas, mais trouve naturel que César
.pproprie ce qui lui plaît, la poésie des autres comme ir fortune ou leurs terres. Tiens, je suis chargé d'écrire ne piéce à la maniére de Terence pour l'inauguration de
-. Domus Aurea lorsque ton oncle aura achevé cette co˚-L-use fantaisie.
- Prends ton temps car la Maison Dorée n'est pas prés ^ être terminée. La statue géante est encore dans l'atelier ,:e Zénodore et personne ne sait comment on va trans-
-^orter ce colosse jusqu'au bas de l'Esquilin !
- C'est bon à savoir. Je vous salue, gracieuses !
Il fit un pas vers les bains puis se retourna et s'adressa
-. Calpurnia :
- On se reverra ?
- qui sait ? répondit la jeune fille.
- J'ai l'impression que tu plais à Valerius ! dit Tarlentia en souriant.
Surtout ne te gêne pas, nous sommes bons amis, c'est tout ! Si tu veux qu'on célébre en vers ton charme et ta beauté, je te dirai comment tu peux le rencontrer.
Cette nuit-là, Calpurnia rêva de Valerius. Elle était mollement allongée prés de lui dans une litiére cloisonnée de pierre spéculaire1. Ils y voyaient sans être vus le
1 Des feuilles de mica.
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spectacle incessant de la rue o˘ se croisaient toutes les races de la terre habitée : le paysan de Thrace et le
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