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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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ruine,
tous ses amis et parents tués ou presque, Enée voyage à travers le monde pour
trouver un endroit où s'installer et recommencer. Cet endroit sera en fin de
compte Rome, la cité qu'il va fonder ; mais avant qu'Énée, traumatisé, parvienne
à Rome, il s'arrête tout d'abord dans une ville du nom de Carthage, en Afrique
du Nord, qui (nous l'apprenons dans le livre premier de l’Enéide) a été
fondée, elle aussi, par une exilée pourchassée et désespérée : Didon, dont Enée
va rapidement tomber amoureux, avant de l'abandonner et de lui briser le cœur.
Lorsque Enée et l'un de ses compagnons entrent pour la première fois dans la
ville très animée, ils se promènent et admirent les bâtiments et monuments
nouvellement construits. Soudain, dans un temple récent et magnifique, les deux
hommes s'arrêtent pétrifiés devant une fresque qui représente des épisodes de
la guerre de Troie. Pour les Carthaginois, la guerre n'est qu'un motif
décoratif, une simple illustration pour les murs de leur nouveau temple ; pour
Enée, naturellement, cela signifie beaucoup plus, et pendant qu'il contemple
cette fresque, cette fresque de sa vie, il éclate en sanglots et prononce une
phrase en latin pour exprimer son tourment ; cette phrase allait devenir si
célèbre, si représentative de la civilisation occidentale, qu'on la retrouve
vraiment partout : c'est le nom d'un groupe et le titre d'une œuvre musicale,
de sites Internet et de blogs, le titre d'un roman de science-fiction, d'un
article dans un journal, d'un livre savant. Ce que dit Enée, en voyant le pire
moment de sa vie décorer le mur d'un temple d ' un peuple qui ne le
connaît pas et n'a pas pris part à la guerre qui a détruit sa famille et sa
cité, c'est ceci : sunt lacrima rerum,
«  Il y a des larmes dans les choses ».
    C'est la phrase qui m'est venue à l'esprit quand Meg a dit, C'étaient
ses parents, et qui continuerait à me venir à l'esprit chaque fois que je
serais confronté à l'horrible décalage entre ce que certaines images et
histoires signifiaient pour moi qui n'y étais pas et, par conséquent, ne
seraient jamais qu'intéressantes, édifiantes ou terriblement
« émouvantes » (comme on dit d'un livre ou d'un film qu'il est
« émouvant »), et ce qu'elles signifiaient pour ces gens à qui je
parlais, pour qui ces images étaient leur vie. Dans mon esprit, cette phrase en
latin est devenue une sorte de légende expliquant ces distances
infranchissables créées par le temps. Ils y avaient été et nous, non. Il
y a des larmes dans les choses. Mais nous pleurons tous pour différentes raisons.
     

     
    Elle a péri ,
mais son album a survécu. À l'instant où Mme Grossbard a prononcé cette
phrase, avec un accent légèrement ironique, sur ce ton caractéristique que
j'allais apprendre à reconnaître au cours des jours suivants, je me suis
souvenu d'une histoire de photos et de leur survie que Mme Begley m'avait
racontée lors d'une de mes visites. Elle avait essayé de décrire pour moi à
quoi elle ressemblait autrefois et à quoi avait ressemblé sa mère aussi.
C'était au cours de la même visite qu'elle m'avait raconté comment elle avait
essayé de sauver ses parents et ses beaux-parents et vu leurs cadavres
emportés, alors qu'elle arrivait au rendez-vous.
    Une vraie Rebecca,  avait-elle dit, une vraie beauté juive.
Comment vous expliquer ?
    Elle avait alors pris sa canne dans une main et, en
s'arc-boutant avec l'autre sur le bras de son fauteuil à dossier droit, elle
s'était levée lentement. Péniblement, elle avait traversé sa chambre et, sans
dire un mot, elle m'avait fait signe de la suivre. Elle s'était arrêtée devant
une commode. Dans la salle de séjour, j'avais remarqué à d'autres occasions les
douzaines de photos de son fils, de ses enfants et de leurs enfants à eux, qui
couvraient toutes les étagères et les tables libres. Ici, dans la chambre, sur
une commode immaculée, se trouvaient quelques photos très anciennes. Une par
une, elle les a prises, me les a passées brièvement avant de les reprendre et
de les replacer soigneusement sur la commode, en m'annonçant à chaque fois de
qui il s'agissait : sa mère, son père, dont je ne peux me souvenir à présent,
en toute honnêteté, parce que ce jour-là, en 2002, je savais que j'aurais
d'autres occasions de les voir et de poser des questions à leurs sujet, et je
ne les avais donc pas regardées avec l'attention suffisante et je ne

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