Les disparus
communauté
juive –, et tout le monde à Bolechow pointait la mère du doigt en disant :
« C'est la mère du converti ! »
Elle a raconté cette histoire et pendant qu'elle la
racontait, je me suis aperçu que j'étais extrêmement tendu parce que je me
faisais du souci pour Matt en me demandant, au moment où Klara disait la
mère de ce garçon a voulu qu'il quitte cette fille — bien évidemment !, ce
que mon frère, qui était tombé amoureux et avait épousé une Grecque orthodoxe,
pouvait bien penser en l'écoutant. J'ai pensé à mon grand-père qui, dans de
nombreuses lettres et ensuite dans son testament, avait écrit, Si un de mes
enfants ou de mes petits-enfants sortait de la confession juive, il ne
toucherait pas un penny de mon argent durement gagné. Du Vieux Continent,
il n'avait pas seulement apporté son accent, ses histoires. Chaque personne, au
bout du compte, est le produit d'un temps spécifique, d'un lieu spécifique, et
il est impossible d'y échapper aussi loin qu'on puisse aller.
Mais Matt n'a rien dit.
Marek s'est levé pour
prendre congé ; il devait aller travailler. Nous nous sommes serré la main et
promis de nous revoir le lendemain, dans la mesure où il nous avait dit qu'il
essaierait d'amener son fils Jonathan, pour aller déjeuner avec nous quelque
part. Un peu plus tôt, il m'avait confié la raison pour laquelle Jonathan
n'était pas venu la veille. Klara et son petit-fils s'étaient apparemment
querellés juste avant notre arrivée : il avait dit à sa grand-mère qu'il avait
beaucoup de travail à l'école et qu'il ne pourrait pas passer tout l'après-midi
chez elle ; elle avait été offensée par cet apparent manque d'intérêt et lui
avait dit de ne pas se déranger du tout, s'il n'avait pas le temps d'écouter
toute son histoire. Ils sont très proches, avait dit Marek, mais tous les deux
sont très orgueilleux ! Et maintenant le fils de Klara, le père de
Jonathan, devait jouer les intermédiaires pour les réconcilier, afin que nous
puissions rencontrer Jonathan avant de nous envoler pour Israël.
J'espérais que Jonathan pourrait nous rejoindre pour une
autre raison. Son anglais, m'avait dit Marek, était excellent et j'avais le
sentiment que Klara s'ouvrirait un peu plus si elle parlait à son petit-fils. Ils
sont très proches, avait dit Marek.
Marek est parti. J'ai posé une question qui ressemblait à
une question de Matt, pas tant sur les faits que sur les sentiments. J'ai dit à
Ewa, Demandez-lui comment elle s'est sentie après l'interview, hier.
Ewa a traduit la question et écouté la réponse de Klara. Ewa
a dit, Hé bien, elle dit qu'elle était nerveuse et qu'elle ne pouvait pas
dormir, qu'elle a pris des somnifères. Elle était incapable de se concentrer.
Elle a dit qu'elle ne s'était jamais sentie très stable nerveusement. Chaque
fois qu'elle vivait quelque chose de nouveau, il fallait qu'elle aille voir des
médecins, des psychiatres, etc. Et tout le monde lui disait qu'il fallait
seulement qu'elle se repose. Mais son mari a eu le cancer pendant quinze ans,
et puis sa fille aussi. Une belle fille, et elle est morte. Le problème, c'est
que de temps en temps elle n'arrive plus à se souvenir des mauvaises choses,
parce qu'elle ne veut plus s'en souvenir. Elle dit qu'elle n'a jamais
parlé de ces choses à ses enfants. Son mari en a peut-être parlé quand il était
encore en vie, mais elle a connu des choses tellement horribles qui ne peuvent
pas être...
Ewa, qui avait traduit tout cela simultanément, attendait la
fin de la phrase, mais la voix de Klara s'est éteinte. Au bout d'un moment,
elle s'est remise à parler.
Beaucoup de gens sont partis se cacher, mais mon mari et moi
sommes restés le plus longtemps possible dans cet endroit où ils avaient mis
tous les Juifs, l’Arbeitslager, après que tous les autres sont partis
– nous avons fui dans la forêt bien après Dyzia, Meg et les autres.
Nous avons hoché la tête et essayé de rendre visible sur nos
visages la compassion que nous éprouvions pour sa douleur.
Ewa a ajouté, Elle dit que c'était vraiment agréable de vous
rencontrer et qu'elle va appeler Meg pour le lui dire.
Aucun des autres survivants que nous avions rencontrés
n'avait parlé aussi ouvertement de l'angoisse psychologique qu'ils avaient
éprouvée à la suite de leurs épreuves pendant la guerre, et j'avais envie de
dire quelque chose qui réconforterait Klara. J'ai dit à Ewa, Dites-lui que
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