Les Essais
en moy de ce qu'ils disent. Pour
moy, qui me loüeroit d'estre bon pilote, d'estre bien modeste, ou
d'estre bien chaste, je ne luy en devrois nul grammercy. Et
pareillement, qui m'appelleroit traistre, voleur, ou yvrongne, je
me tiendroy aussi peu offencé. Ceux qui se mescognoissent, se
peuvent paistre de fauces approbations : non pas moy, qui me
voy, et qui me recherche jusques aux entrailles, qui sçay bien ce
qu'il m'appartient. Il me plaist d'estre moins loué, pourveu que je
soy mieux congneu. On me pourroit tenir pour sage en telle
condition de sagesse, que je tien pour sottise.
Je m'ennuye que mes
Essais
servent les dames de meuble
commun seulement, et de meuble de sale : ce chapitre me fera
du cabinet : J'ayme leur commerce un peu privé : le
publique est sans faveur et saveur. Aux adieux, nous eschauffons
outre l'ordinaire l'affection envers les choses que nous
abandonnons. Je prens l'extreme congé des jeux du monde :
voicy nos dernieres accolades. Mais venons à mon theme.
Qu'a faict l'action genitale aux hommes, si naturelle, si
necessaire, et si juste, pour n'en oser parler sans vergongne, et
pour l'exclurre des propos serieux et reglez ? Nous prononçons
hardiment, tuer, desrober, trahir : et cela, nous n'oserions
qu'entre les dents. Est-ce à dire, que moins nous en exhalons en
parole, d'autant nous avons loy d'en grossir la pensee ?
Car il est bon, que les mots qui sont le moins en usage, moins
escrits, et mieux teuz, sont les mieux sceus, et plus generalement
cognus. Nul aage, nulles moeurs l'ignorent non plus que le pain.
Ils s'impriment en chascun, sans estre exprimez, et sans voix et
sans figure. Et le sexe qui le fait le plus, a charge de le taire
le plus. C'est une action, que nous avons mis en la franchise du
silence, d'où c'est crime de l'arracher. Non pas pour l'accuser et
juger : Ny n'osons la fouëtter, qu'en periphrase et peinture.
Grand faveur à un criminel, d'estre si execrable, que la justice
estime injuste, de le toucher et de le veoir : libre et sauvé
par le benefice de l'aigreur de sa condamnation. N'en va-il pas
comme en matiere de livres, qui se rendent d'autant plus venaux et
publiques, de ce qu'ils sont supprimez ? Je m'en vay pour moy,
prendre au mot l'advis d'Aristote, qui dit, L'estre honteux, servir
d'ornement à la jeunesse, mais de reproche à la vieillesse.
Ces vers se preschent en l'escole ancienne : escole à
laquelle je me tien bien plus qu'à la moderne : ses vertus me
semblent plus grandes, ses vices moindres.
Ceux qui par trop fuyant Venus
estrivent,
Faillent autant que ceux qui trop la suivent
.
Tu Dea, tu rerum naturam sola gubernas,
Nec sine te quicquam dias in luminis oras
Exoritur, neque fit lætum, nec amabile quicquam
.
Je ne sçay qui a peu mal mesler Pallas et les Muses, avec Venus,
et les refroidir envers l'amour : mais je ne voy aucunes
deitez qui s'aviennent mieux, ny qui s'entredoivent plus. Qui
ostera aux muses les imaginations amoureuses, leur desrobera le
plus bel entretien qu'elles ayent, et la plus noble matiere de leur
ouvrage : et qui fera perdre à l'amour la communication et
service de la poësie, l'affoiblira de ses meilleures armes. Par
ainsin on charge le Dieu d'accointance, et de bien vueillance, et
les deesses protectrices d'humanité et de justice, du vice
d'ingratitude et de mescognoissance.
Je ne suis pas de si long temps cassé de l'estat et suitte de ce
Dieu, que je n'aye la memoire informee de ses forces et
valeurs :
agnosco veteris vestigia flammæ
.
Il y a encore quelque demeurant d'emotion et chaleur apres la
fiévre :
Nec mihi deficiat calor hic, hyemantibus
annis
.
Tout asseché que je suis, et appesanty, je sens encore quelques
tiedes restes de cette ardeur passee ;
Qual l'alto Ægeo per che Aquilone o
Noto
Cessi, che tutto prima il vuolse et scosse,
Non s'accheta ei pero, ma'l sono e'l moto,
Ritien de l'onde anco agitate è grosse
.
Mais de ce que je m'y entends, les forces et valeur de ce Dieu,
se trouvent plus vifves et plus animees, en la peinture de la
poësie, qu'en leur propre essence.
Et versus digitos habet
.
Elle represente je ne sçay quel air, plus amoureux qne l'amour
mesme. Venus n'est pas si belle toute nüe, et vive, et haletante,
comme elle est icy chez Virgile.
Dixerat, Et niveis hinc atque hinc diva
lacertis
Cunctantem amplexu molli fovet : Ille repente
Accepit solitam flammam, notusque medullas
Intravit calor, et labefacta per ossa cucurrit.
Non secus atque olim tonitru
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