Les Essais
tousjours
son debvoir, au moins le faut il tousjours aymer et
recognoistre : c'esttrahison, se marier sans s'espouser.
Passons outre.
Nostre poëte represente un mariage plein d'accord et de bonne
convenance, auquel pourtant il n'y a pas beaucoup de loyauté. A il
voulu dire, qu'il ne soit pas impossible de se rendre aux efforts
de l'amour, et ce neantmoins reserver quelque devoir envers le
mariage : et qu'on le peut blesser, sans le rompre tout à
faict ? Tel valet ferre la mule au maistre qu'il ne hayt pas
pourtant. La beauté, l'oportunité, la destinee (car la destinee y
met aussi la main)
fatum est in partibus illis
Quas sinus abscondit : nam si tibi sidera cessent,
Nil faciet longi mensura incognita nervi
,
l'ont attachée à un estranger : non pas si entiere peut
estre, qu'il ne luy puisse rester quelque liaison par où elle tient
encore à son mary. Ce sont deux desseins, qui ont des routes
distinguees, et non confondues : Une femme se peut rendre à
tel personnage, que nullement elle ne voudroit avoir espouse :
je ne dy pas pour les conditions de la fortune, mais pour celles
mesmes de la personne. Peu de gens ont espousé des amies qui ne
s'en soyent repentis. Et jusques en l'autre monde, quel mauvais
mesnage fait Jupiter avec sa femme, qu'il avoit premierement
pratiquee et jouyë par amourettes ? C'est ce qu'on dit, chier
dans le panier, pour apres le mettre sur sa teste.
J'ay veu de mon temps en quelque bon lieu, guerir honteusement
et deshonnestement, l'amour, par le mariage : les
considerations sont trop autres. Nous aymons, sans nous empescher,
deux choses diverses, et qui se contrarient. Isocrates disoit, que
la ville d'Athenes plaisoit à la mode que font les dames qu'on sert
par amour ; chacun aymoit à s'y venir promener, et y passer
son temps : nul ne l'aymoit pour l'espouser : c'est à
dire, pour s'y habituer et domicilier J'ay avec despit, veu des
maris hayr leurs femmes, de ce seulement, qu'ils leur font
tort : Aumoins ne les faut il pas moins aymer, de nostre
faute : par repentance et compassion aumoins, elles nous en
devroient estre plus cheres.
Ce sont fins differentes, et pourtant compatibles, dit-il, en
quelque façon. Le mariage a pour sa part, l'utilité, la justice,
l'honneur, et la constance : un plaisir plat, mais plus
universel. L'amour se fonde au seul plaisir : et l'a de vray
plus chatouilleux, plus vif, et plus aigu : un plaisir attizé
par la difficulté : il y faut de la piqueure et de la
cuison : Ce n'est plus amour, s'il est sans fleches et sans
feu. La liberalité des dames est trop profuse au mariage, et
esmousse la poincte de l'affection et du desir. Pour fuïr à cet
inconvenient, voyez la peine qu'y prennent en leurs loix Lycurgus
et Platon.
Les femmes n'ont pas tort du tout, quand elles refusent les
reigles de vie, qui sont introduites au monde : d'autant que
ce sont les hommes qui les ont faictes sans elles. Il y a
naturellement de la brigue et riotte entre elles et nous. Le plus
estroit consentement que nous ayons avec elles, encores est-il
tumultuaire et tempestueux. A l'advis de nostre autheur, nous les
traictons inconsiderément en cecy. Apres que nous avons cogneu,
qu'elles sont sans comparaison plus capables et ardentes aux
effects de l'amour que nous, et que ce prestre ancien l'a ainsi
tesmoigné, qui avoit esté tantost homme, tantost femme :
Venus huic erat utraque nota
:
Et en outre, que nous avons appris de leur propre bouche, la
preuve qu'en firent autrefois, en divers siecles, un Empereur et
une Emperiere de Rome, maistres ouvriers et fameux en cette
besongne : luy despucela bien en une nuict dix vierges
Sarmates ses captives : mais elle fournit reelement en une
nuict, à vingt et cinq entreprinses, changeant de compagnie selon
son besoing et son goust,
adhuc ardens rigidæ tentigine
vulvæ :
Et lassata viris, nondum satiata recessit
.
Et que sur le different advenu à Cateloigne, entre une femme, se
plaignant des efforts trop assiduelz de son mary (Non tant à mon
advis qu'elle en fust incommodee, car je ne crois les miracles
qu'en foy, comme pour retrancher soubs ce pretexte, et brider en ce
mesme, qui est l'action fondamentale du mariage, l'authorité des
maris envers leurs femmes : Et pour montrer que leurs hergnes,
et leur malignité passent outre la couche nuptiale, et foulent aux
pieds les graces et douceurs mesmes de Venus) à laquelle plainte,
le mary respondoit, homme vrayement brutal et desnaturé, qu'aux
jours
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