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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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bon, cela ne l'est pas ; et qu'ils rencontrent, voyez si
c'est la fortune, qui rencontre pour eux.
    Qu'ils circonscrivent et restreignent un peu leur
sentence : Pourquoy c'est ; par où c'est. Ces jugements
universels, que je voy si ordinaires, ne disent rien. Ce sont
gents, qui salüent tout un peuple, en foulle et en troupe. Ceux qui
en ont vraye cognoissance, le salüent et remarquent nommement et
particulierement. Mais c'est une hazardeuse entreprinse. D'où j'ay
veu plus souvent que tous les jours, advenir que les esprits
foiblement fondez, voulants faire les ingenieux à remarquer en la
lecture de quelque ouvrage, le point de la beauté : arrester
leur admiration, d'un si mauvais choix, qu'au lieu de nous
apprendre l'excellence de l'autheur, ils nous apprennent leur
propre ignorance. Cette exclamation est seure : Voyla qui est
beau : oyant oüy une entiere page de Vergile. Par là se
sauvent les fins. Mais d'entreprendre à le suivre par espaulettes,
et de jugement expres et trié, vouloir remarquer par où un bon
autheur se surmonte : poisant les mots, les phrases, les
inventions et ses diverses vertus, l'une apres l'autre : Ostez
vous de là.
Videndum est non modo, quid quisque loquatur,
sedetiam, quid quisque sentiat, atque etiam qua de causa quisque
sentiat
. J'oy journellement dire à des sots, des mots non
sots. Ils disent une bonne chose sçachons jusques où ils la
cognoissent, voyons par où ils la tiennent. Nous les aydons à
employer ce beau mot, et cette belle raison, qu'ils ne possedent
pas, ils ne l'ont qu'en garde : ils l'auront produicte à
l'avanture, et à tastons, nous la leur mettons en credit et en
prix.
    Vous leur prestez la main. A quoy faire ? Il ne vous en
sçavent nul gré, et en deviennent plus ineptes. Ne les secondez
pas, laissez les aller : ils manieront cette matiere, comme
gens qui ont peur de s'eschauder, ils n'osent luy changer d'assiete
et de jour, n'y l'enfoncer. Croullez la tant soit peu ; elle
leur eschappe : ils vous la quittent, toute forte et belle
qu'elle est. Ce sont belles armes : mais elles sont mal
emmanchees. Combien de fois en ay-je veu l'experience ? Or si
vous venez à les esclaircir et confirmer, il vous saisissent et
desrobent incontinent cet advantage de vostre interpretation :
C'estoit ce que je voulois dire : voyla justement ma
conception : si je ne l'ay ainsin exprimé, ce n'est que faute
de langue. Souflez. Il faut employer la malice mesme, à corriger
cette fiere bestise. Le dogme d'Hegesias, qu'il ne faut ny haïr, ny
accuser : ains instruire : a de la raison ailleurs. Mais
icy, c'est injustice et inhumanité de secourir et redresser celuy,
qui n'en a que faire, et qui en vaut moins. J'ayme à les laisser
embourber et empestrer encore plus qu'ils ne sont : et si
avant, s'il est possible, qu'en fin ils se recognoissent.
    La sottise et desreglement de sens, n'est pas chose guerissable
par un traict d'advertissement. Et pouvons proprement dire de cette
reparation, ce que Cyrus respond à celuy, qui le presse d'enhorter
son ost, sur le point d'une bataille : Que les hommes ne se
rendent pas courageux et belliqueux sur le champ, par une bonne
harangue : non plus qu'on ne devient incontinent musicien,
pour ouyr une bonne chanson. Ce sont apprentissages, qui ont à
estre faicts avant la main, par longue et constante
institution.
    Nous devons ce soing aux nostres, et certe assiduité de
correction et d'instruction : mais d'aller prescher le premier
passant, et regenter l'ignorance ou ineptie du premier rencontré,
c'est un usage auquel je veux grand mal. Rarement le fais-je, aux
propos mesme qui se passent avec moy, et quitte plustost tout, que
de venir à ses instructions reculees et magistrales. Mon humeur
n'est propre, non plus à parler qu'à escrire, pour les principians.
Mais aux choses qui se disent en commun, ou entre autres, pour
fauces et absurdes que je les juge, je ne me jette jamais à la
traverse, ny de parole ny de signe. Au demeurant rien ne me despite
tant en la sottise, que, dequoy elle se plaist plus, que aucune
raison ne se peut raisonnablement plaire.
    C'est mal'heur, que la prudence vous deffend de vous satisfaire
et fier de vous, et vous en envoye tousjours mal content et
craintif : là où l'opiniastreté et la temerité, remplissent
leurs hostes d'esjouïssance et d'asseurance. C'est au plus mal
habiles de regarder les autres hommes par dessus l'espaule, s'en
retournans tousjours du combat, pleins de gloire et

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