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Les fiancés de Venise

Les fiancés de Venise

Titel: Les fiancés de Venise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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remise des photos qui devait avoir lieu cette nuit continuait pourtant de le préoccuper. Un jeu de piste à travers Venise, en pleine nuit, n’avait en soi aucun sens – on ne fêtait pas un anniversaire –, mais cela lui faciliterait la tâche en lui procurant le temps nécessaire.
    Quand il tourna les yeux, il aperçut à quelques pas de lui, en haut des marches couvertes d’algues qui descendaient dans l’eau, une colombe picotant un morceau de pain. L’oiseau était presque entièrement blanc. Seule l’extrémité de ses ailes présentait un motif gris clair à peine visible. Il s’approcha, s’immobilisa à une coudée et s’appuya de tout son poids sur la jambe gauche avant de projeter l’autre. La pointe de sa botte atteignit l’animal en pleine poitrine. Cette fois, il entendit même le bruit des côtes qui se brisaient. C’était un léger craquement, comme lorsqu’on marche sur des feuilles mortes. La colombe vola dans les airs et disparut derrière les marches.

26
    Huit heures plus tard – peu avant onze heures –, Angelina Zolli traversa la place Saint-Marc. Elle avait l’impression que tout le monde jetait sur elle des regards admiratifs. Le bon sens lui disait bien que personne ne s’extasiait devant un manteau élimé et une paire de chaussures avachies, mais elle n’avait pas l’intention de laisser quelques réflexions mesquines lui gâcher son plaisir.
    Après les vêpres, elle avait dû passer deux fois la serpillière dans les coins derrière l’autel (le Seigneur détestait les coins sales). Comme d’habitude, signora Zuliani lui avait dépeint les feux de l’enfer. Aujourd’hui, les menaces de Mme Pour finir l’avaient pourtant laissée de glace. Il lui suffisait de penser à son manteau, à ses chaussures et surtout à sa robe pour se moquer des récriminations de la mégère. L’idée de posséder de tels vêtements lui donnait autant de force qu’à d’autres la foi en la Vierge Marie ou la vue d’un appétissant rôti. Quelle joie de se promener en ville dans cette tenue ! Elle avait déjà éprouvé ce sentiment hier, même si le brouillard et la bruine l’avaient un peu terni par l’absence de public. Ce soir, le ciel était clair et la lune, ronde et jaune comme une crêpe, faisait concurrence aux becs de gaz. Elle avait atteint le centre de la place. Là, entre le Quadri favorable aux Autrichiens et le Florian hostile, elle s’arrêta et fit un tour d’horizon.
    Malgré l’heure tardive, Saint-Marc était bondée, presque comme par un soir d’été. Des officiers discutaient partout en petits groupes. Des cohortes d’élégants étrangers se promenaient au milieu des pigeons qui virevoltaient, qu’on nourrissait ou qu’on chassait. Des queues se formaient face aux stands de galiani 1 et de frittolini . Devant le Campanile, un filet de fumée s’élevait dans l’air nocturne, au-dessus du chariot d’un marchand de marrons.
    Angelina poursuivit son chemin à pas lents en direction du môle. Elle sentait le col de son manteau lui caresser la peau et tendait l’oreille pour écouter ses talons sur le pavé, ce clic-clac propre aux chaussures des adultes. Il lui avait fallu deux jours pour s’accoutumer à ses nouveaux souliers – autant que pour convaincre signora Zuliani de l’origine légale de ses vêtements.
    Elle s’était bien gardée de lui raconter son étrange visite chez M. Lévi, de la « tribu des Moi d’abord  ». Elle avait prétendu s’être de nouveau rendue à la questure et avoir obtenu une deuxième récompense pour le portefeuille trouvé. Mme Pour finir n’irait jamais vérifier, elle respectait bien trop le commissaire – un comte en plus – pour oser l’importuner à cause d’une pareille broutille.
    Tout à coup, sur la Piazzetta, Angelina l’aperçut à trois pas d’elle à peine. Il avait jailli de derrière un groupe de chasseurs croates et s’était arrêté. C’était un homme rasé de près, aux traits banals. Le seul détail marquant (elle les reconnut tout de suite) étaient ses sourcils broussailleux. Il portait un chapeau rond et noir, comme les prêtres, et avait enfoui ses mains dans un manteau de la même couleur. Il parcourut la foule du regard, comme à la recherche de quelqu’un, et la fixa pendant un instant insoutenable.
    Quand elle sentit ses yeux posés sur elle, Angelina fut saisie d’un frisson à la fois brûlant et glacé qui pénétra les moindres recoins de son entendement.

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