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Les fiancés de Venise

Les fiancés de Venise

Titel: Les fiancés de Venise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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promit le commissaire.
    — Cela n’aurait pas été bien malin, remarqua l’autre. Vous avez l’argent ?
    — Et vous, vous avez les clichés ? répliqua Tron.
    — Non. Je ne pouvais pas courir un tel risque.
    — Où sont-ils ?
    — En lieu sûr. Non loin d’ici.
    Tron haussa les épaules.
    — Qu’attendons-nous pour y aller ?
    Le maître chanteur leva de nouveau le bras, mais cette fois pour attirer l’attention du commissaire sur ce qui se passait dans son dos. Le policier se retourna et reconnut l’obstacle. Un groupe bruyant, amassé devant le comptoir, attendait d’être servi. Les gens ne se pousseraient pas pour un domino maigrichon et une grande blonde à l’allure douteuse.
    — Ou bien nous patientons ici quelques minutes, commenta le travesti, ou bien…
    Il parut méditer un instant derrière son masque.
    — Ou bien ? voulut savoir le commissaire.
    L’inconnu reprit, avec une indéniable coquetterie dans la voix :
    — Ou bien nous dansons jusque de l’autre côté de la piste.
    Tron imagina soudain le visage fardé de l’inconnu – ses lèvres rouges, ses cils soulignés de noir, ses joues poudrées. Décontenancé par la proposition, il ne put que répéter :
    — Danser ?
    La main de l’homme à la perruque blonde se posa sur son bras et le serra quelques secondes.
    — Vous ne savez pas valser ?
    — Si, si. Bien sûr, mais…
    — Vous voulez mener ?
    — Pardon ?
    — Je demande si vous voulez mener.
    Non, il ne voulait pas mener. Il voulait empocher mille lires en or et récupérer les photographies de l’archiduc. Et surtout, il voulait sortir d’ici.
    — Venez ! ordonna-t-il.
    La perruque blonde avait légèrement glissé, de sorte qu’on voyait quelques cheveux noirs. Le commissaire se demanda s’il devait prévenir le travesti. Il y renonça, le saisit par le haut du bras et le poussa vers les danseurs sans prêter attention au cri aigu que poussa sa cavalière. Lui-même incrédule, il se mit à tourner dans les copeaux de bois avec une blonde qui n’était pas blonde et qui n’était même pas une femme. Contraints de s’adapter au rythme lent du carrousel au centre de la pièce, ils mirent cinq minutes à atteindre l’autre côté.

28
    Lorsqu’ils sortirent, cette fois non par le jardin, mais dans la rue, l’air était encore plus pur qu’à minuit. La lune avait continué sa progression vers l’est. Les rayons n’éclairaient plus seulement le haut des maisons, mais aussi les pavés. Au bout d’une centaine de pas, ils tournèrent dans une étroite calle qui menait droit à fondamenta 1 Nuove. Trois maisons après l’angle, le travesti s’arrêta et tira une clé de sa poche.
    Lorsqu’il appuya sur le battant, les gonds grincèrent dans un écho tombal. Alors, il alluma une bougie, révélant un vestibule aux dimensions surprenantes. Tron le suivit dans un grand salon. Des pilastres servant de supports au plafond mouluré qui s’effritait par endroits segmentaient les murs nus. La pièce ne comprenait qu’une table centrale sur laquelle était posée une lampe à pétrole que le maître chanteur alluma. Personne ne semblait avoir franchi le seuil de cette maison depuis longtemps car, à chaque pas, une fine poussière s’élevait du sol, tel un brouillard sec. Une fenêtre sale laissait filtrer la pâle lumière de la lune, trouble comme de l’eau stagnante, qui parsemait les murs de taches noires.
    L’inconnu s’approcha de la vitre, jeta un coup d’œil au-dehors et tendit l’oreille. Puis il se retourna.
    — Déposez l’argent sur la table ! ordonna-t-il.
    Le commissaire l’entendit reprendre son souffle sous le masque. Il respirait bruyamment.
    — Pas avant d’avoir vu les clichés, répliqua-t-il en balançant la tête de gauche à droite.
    L’homme le regarda avec calme pendant un moment. Comme Tron ne voyait pas ses yeux, mais seulement deux cavités sombres où se réfléchissait l’éclat de la lampe à pétrole, il fut soudain gagné par la nervosité. Pour finir, le travesti lâcha :
    — Attendez-moi ici.
    Il disparut par une porte à l’autre extrémité de la pièce et revint deux minutes plus tard avec une pochette marron. Il s’approcha de la table, ouvrit l’enveloppe et disposa les photographies en éventail au-dessous de la lampe. Les six clichés montraient le même spectacle : l’archiduc, nu, dormait à côté d’Anna Slataper, nue elle aussi, qui fixait l’objectif d’un air

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