Les Filles De Caleb
maison. Tous les matins, entre deux discrètes nausées, Émilie se gargarisait de son bonheur. Trois jours avant la date de la bénédiction, Ovila avait porté le matériel qu’on lui avait commandé. Les sœurs l’avaient félicité pour son travail fait «au plus-que-parfait, monsieur Pronovost».
Dès son retour du couvent, Émilie lui demanda de ne pas ranger ses outils.
« J’aurais un p’tit travail à te faire faire. » Ovila fronça les sourcils en se demandant ce qu’elle voulait. Il lui avait déjà dit qu’il lui ferait quelque chose de bien pour leur chambre à coucher et qu’il referait une nouvelle table pour la cuisine. Il avait déjà terminé les chaises en même temps que celles pour le couvent.
«Je voudrais que tu fasses un beau p’tit berceau», dit- elle d’un ton tellement désinvolte qu’il fallut deux bonnes minutes à Ovila pour saisir ce qu’elle venait de dire. Quand il comprit enfin, il resta bouche bée, puis se leva et la prit dans ses bras en riant aux éclats. Emilie l’imita, toute à sa joie. Sans se remettre réellement de ses émotions, il la contraignit à enfiler son manteau, ses bottes et son chapeau, fît de même et l’entraîna en direction de la maison de ses parents.
«Demande-moi pas de garder un secret comme ça, Emilie. »
Les Pronovost partagèrent leur excitation, les obligeant à rester pour le souper. Dosithée n’en revenait pas. Il allait être grand-père.
Émilie et Ovila passèrent la Noël à Saint-Stanislas. Émilie dut discuter assez violemment avec son père et son mari pour qu’ils acceptent qu’elle danse. Ils craignaient pour sa santé. Ils cédèrent finalement quand, n’écoutant que sa tête, elle commença à giguer. Ils revinrent à Saint-Tite pour le Jour de l’An. Caleb avait remis un cadeau à Émilie, lui faisant promettre de ne pas l’ouvrir avant la nouvelle année. Elle avait juré, après avoir vainement essayé d’en connaître le contenu.
«Tout ce que je peux te dire, Émilie, c’est que ça va occuper tes soirées.»
Avant d’aller chez les Pronovost, Émilie ouvrit le cadeau que son père lui avait remis. Elle s’esclaffa. Elle s’était attendue à trouver quelque chose pour préparer l’arrivée du bébé: accessoires de broderie ou de couture. Caleb lui avait acheté un accordéon!
«Veux-tu me dire où mon père va chercher ses idées?» dit-elle à Ovila.
Elle voulut commencer à jouer quelques notes, mais Ovila la pressa de partir.
«Tu auras le temps d’apprendre.»
Dosithée bénit toute sa famille, blaguant sur le fait qu’il bénissait une personne «qui est pas encore arrivée».
La soirée du Jour de l’An fut pleinement réussie. Émilie rit quand on la taquina sur son embonpoint naissant.
«Je mange pour deux! Je passe mon temps à grignoter.
— Grignoter, répliqua Ovila, vous voulez rire! Savez- vous ce qu’elle a grignoté hier soir? Une aile pis une cuisse de poulet avec deux grosses tranches de pain beurrées de graisse de rôt.
— Ovila sait pas que j’ai remangé pendant la nuit parce que j’avais une p’tite fringale. Mais j’ai été raisonnable. J’ai juste pris une grosse tranche de pain, trempée dans de la belle crème épaisse avec du bon sucre du pays. C’était bon! »
Félicité sourit, mais lui dit de faire attention. Beaucoup de femmes ne réussissaient pas à perdre le poids pris pendant leur grossesse. Émilie lui répondit qu’elle avait un peu exagéré, mais que, de fait, elle devrait faire attention.
Les hommes s’éloignèrent comme ils le faisaient toujours, pour parler politique et saisons. Dosithée en profita pour inviter Ovila et Edmond à se joindre à lui pour terminer son contrat de coupe pour les dormants de chemin de fer au lac Pierre-Paul. Edmond, embarrassé, lui dit qu’il préférait demeurer dans le Bourdais. Remarquant la déception de son père, il s’empressa d’ajouter qu’Ovide et Lazare avaient vraiment besoin de lui. Dosithée tourna son regard vers Ovila et fît un petit signe de tête. Ovila était mal à l’aise. Il n’avait pas du tout envie de quitter Emilie, surtout pendant sa grossesse. D’un autre côté, l’argent qu’il avait reçu des religieuses ne pouvait suffire jusqu’à la naissance du bébé. Il promit à son père d’en parler avec Emilie et de lui donner une réponse dès que son idée serait faite.
«En tout cas, nous autres on attelle de suite après les Rois.
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