Les Filles De Caleb
de passer une semaine seule, loin, avec Ovila. Elle se laissa bercer par le train, résistant à l’envie d’abandonner sa tête sur l’épaule d’Ovila. Elle avait revêtu ses airs de grande dame et n’aurait pas voulu gâcher l’illusion. Elle avait tellement hâte d’arriver à Montréal qu’elle trouvait que le train avançait à pas de tortue. Ils y furent enfin. Ovila lui demanda où elle voulait habiter.
«A l’hôtel Windsor.» Elle en avait vu des photographies et s’était promis qu’au moins une fois dans sa vie elle logerait à cette enseigne.
«Au Windsor! Si c’est le Windsor que tu veux, ça va être le Windsor pour deux!»
Ils montèrent à bord d’une des calèches qui attendaient devant la gare. Ovila demanda l’hôtel d’une voix forte et assurée qu’Émilie ne lui connaissait pas. Elle le regarda et retint une féroce envie de rire. Ovila se pencha et lui chuchota à l’oreille que c’était sa voix de chantiers.
«Quand tu parles comme ça, personne te demande l’heure.» Le caléchier se retourna et demanda à Ovila de répéter le nom de l’hôtel. Ovila répéta, certain de l’avoir impressionné.
«Vous êtes des visiteurs?
— Comment est-ce que vous savez ça? demanda Ovila.
— C’est facile à savoir. Vous avez deux valises pis il y a rien que le monde en visite qui prend une calèche pour faire un coin de rue.»
Émilie regarda autour d’elle, se mordit les lèvres à plusieurs reprises pour s’empêcher de rire de la déconfiture d’Ovila et aussi pour se convaincre qu’elle ne rêvait pas. Elle laissa enfin tomber sa tête sur l’épaule de son mari. Elle avait remarqué que plusieurs femmes le faisaient.
«C’est laid, hein! Ovila?
— Montréal?
— Non, les poteaux pleins de fils.
— Attends de voir les éclairages que ça donne avant de te plaindre. Il paraît que c’est quelque chose.»
Il avait eu raison. Ils arrivèrent à l’hôtel et Émilie dut faire de nombreux efforts pour ne pas crier de plaisir. L’hôtel n’étant pas trop achalandé, ils eurent une chambre au troisième étage, avec vue sur le Square Dominion. Émilie s’empressa d’aller à la salle de toilette, tirant sur la chasse d’eau à plusieurs reprises. Elle ouvrit les robinets et fut fascinée de voir qu’il y avait de l’eau chaude. Elle se lava les mains avec un savon odorant qui avait été laissé là pour les clients. De retour dans la chambre, elle était allée à la fenêtre rejoindre Ovila.
«C’est un vrai château, ici.
— Il y a rien de trop beau pour toi, ma belle brume.»
Ils vérifièrent pendant deux bonnes heures le confort du matelas avant de se décider enfin à descendre à l’impressionnante salle à dîner. Ils étaient seuls à une table pour quatre. Ils regardèrent le menu et choisirent ce qu’il y avait de moins cher. Emilie n’avait pas les yeux assez grands pour tout voir. Elle passa tout le repas à s’extasier devant la richesse dont elle était témoin.
«J’en compte au moins vingt-quatre.
— De quoi?
— Des lumières dans chacun des candélabres.
— C’est quelque chose l’électricité. As-tu remarqué, la lumière danse même pas!
Elle ne cessait de s’enthousiasmer, entraînant Ovila dans sa folie.
«As-tu vu les belles peintures peinturées à même les murs tout autour de la pièce?
— Je vois pas où c’est que ça peut être.
— Je pense que c’est quelque part dans les vieux pays.
— C’est bien pour ça que je reconnaissais rien.»
Après le repas, ils décidèrent de marcher dehors. Ils ne s’éloignèrent pas de l’hôtel, craignant de s’égarer. Pour le lendemain, il fut convenu qu’avant toute chose ils iraient voir Berthe. Ils décidèrent aussi de faire plusieurs tours de p’tits chars.
Le temps était chagrin. Le ciel avait la pluie au bord des yeux quand ils quittèrent l’hôtel après une nuit plutôt agitée. Ils avaient été réveillés à maintes reprises par l’arrivée des autres clients.
«C’est pas possible, quand est-ce que le monde dort en ville? Il est passé onze heures! On dirait que ce monde-là a des fêtes à tous les soirs», avait dit Ovila en grognant. Emilie avait le cœur serré. Ils avaient été introduits dans le parloir. Une pièce toute blanche et un rideau derrière un grillage.
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