Les Filles De Caleb
venait d’entrer dans la maison. Ils passèrent des jours complets, chacun à son chagrin, à tourner en rond. Émilie se sentait faible. Elle avait tellement besoin d’Ovila. Elle lui en voulait de manquer à sa promesse. Elle n’aurait jamais le courage de vivre loin de lui. Si seulement il pouvait trouver un petit contrat, même à la briqueterie. Pour un hiver, il pouvait bien se passer du bois. Rose choisit évidemment ce moment pour percer une dent, empêchant ses parents de dormir.
Ovila s’était résigné à travailler au lac après avoir tenté par tous les moyens possibles et impossibles de trouver quelque chose qui lui aurait évité de s’éloigner. Il n’en pouvait plus d’être loin de sa femme et elle le regardait comme s’il avait choisi de partir. Elle lui tournait le dos, le soir, et ne le laissait plus s’approcher. Il lui en voulait de ne pas comprendre.
Il était assis près du poêle à tailler son nouveau bout de bois. Émilie avait déposé son accordéon et s’affairait au métier à terminer une couverture. Le vent criait son énergie par toutes les fenêtres, apportant sûrement la première gelée. Une gelée trop précoce. Rose dormait enfin, Émilie lui ayant frotté les gencives avec du clou de girofle. Ovila regardait Émilie et avait la gorge serrée. Elle lui manquait déjà. De temps en temps, Émilie lui jetait un coup d’œil et leurs regards s’accrochaient l’un à l’autre. Puis elle brisait la magie en soupirant et en retournant à son ouvrage.
Ovila se leva, prit son manteau et sortit de la maison, faisant claquer la porte. Il en avait soupé de ses reproches silencieux. Émilie sursauta. Elle lui laissa le temps de s’éloigner puis courut à la fenêtre pour voir où il allait. Elle avait exagéré. Il lui en voulait. Qu’est-ce qu’elle avait fait?
Elle enfila son manteau à son tour, voulut partir à sa recherche puis se rendit compte que Rose la tenait prisonnière. Elle commença à pleurer d’impuissance.
Emilie l’attendit. Il rentra aux petites heures, visiblement ivre. Il la regarda, d’un air bravache, puis se dévêtit en oubliant d’enlever un bas. Emilie l’avait regardé faire, ne comprenant pas très bien ce qui se passait. Il n’avait pas l’habitude de s’enivrer.
«Où c’est que tu es allé?» lui avait-elle finalement demandé.
«Au Grand Nord. Là au moins le monde est de bonne humeur. Pis à part de ça, j’ai gagné quand on a tiré du poignet. Quatre piastres, madame. Quatre belles piastres neuves.»
Il rit sauvagement puis éclata en sanglots. Il lui dit en hoquetant qu’il n’en pouvait plus de la voir aussi triste. Qu’il n’avait pas envie de partir mais qu’en bon père de famille, il le devait. Qu’il avait deux bouches à nourrir. Qu’elle faisait tout pour le rendre malheureux. Qu’il faisait tout pour qu’elle soit heureuse. Qu’elle ne cessait de lui faire la tête et qu’il se sentait comme à l’école quand elle le grondait. Qu’elle devait cesser de jouer à la maîtresse d’école avec lui. Qu’il était son mari. Qu’elle était sa femme.
Emilie sanglota elle aussi tout au long de sa complainte. Tout ce qu’elle avait voulu lui dire c’est qu’elle l’aimait et qu’elle souffrait terriblement quand il n’était pas là. Elle lui avait pris la tête et lui caressait les cheveux. Ils étaient tous les deux inondés de larmes lorsqu’Ovide frappa violemment à leur porte. Ovila, qui avait un peu dégrisé, pensa à regarder l’heure. Émile se leva rapidement et alla ouvrir pendant qu’Ovila gémissait que cinq heures du matin n’était pas une heure pour réveiller le monde.
«Va donc traire les vaches, Ovide, pis laisse-moi pis ma femme dormir. » Il avala un rire à peine entamé lorsqu’il vit la silhouette de son frère encadrée à l’entrée de sa chambre.
«C’est Lazare, Ovila», dit-il la voix enrouée.
— Il veut pas faire le train?
— Même s’il voulait, Ovila, il en fera pus jamais. Il vient de s’étouffer pour de bon. »
Ovila mit quelques minutes avant de comprendre ce qu’Ovide venait de lui dire. Puis il entendit sangloter Émilie. Ses esprits s’éclairèrent enfin.
«Quoi?»
Ovide leur raconta qu’ils venaient de se lever pour aller à l’étable quand Lazare avait fait sa crise fatale.
«C’est pas possible, hier il était bien. Ça faisait même quelques mois qu’il avait pas fait de crise.
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