Les Filles De Caleb
dans la mangeoire. Elle la prit dans ses bras et se tourna vers le public.
«C’est un garçon, Joseph. Nous l’appellerons Emmanuel. »
Le curé Grenier se moucha à nouveau. Marie se plaça derrière la mangeoire et y déposa son enfant pendant que Joseph s’agenouillait.
«Qu’il est petit, Marie.
— Oui, mais z-un jour, il sera grand.»
Les bergers revinrent devant la crèche en chantant II est, né le Divin Enfant. Cette fois, ils eurent la bonne note. Pendant le cantique, une étoile, fixée par un anneau à une corde tendue du fond de la classe au coin de la toiture de la crèche, glissa lentement. Les mages — qui n’étaient nuls autres que les placiers — arrivèrent de l’arrière de la classe et se dirigèrent tant bien que mal jusqu’à la crèche. Ils ne quittèrent jamais l’étoile des yeux mais s’excusèrent chaque lois qu’ils devaient déplacer une personne, écrasaient une main ou un pied. Le curé Grenier s’essuya encore une fois les yeux. Les bergers reculèrent et les mages tombèrent ù genoux devant la mangeoire.
«() mon Roi, dit le premier, je vous z-ai apporté de l’encens.»
Le second mage le regarda, étonné. C’était lui qui devait offrir l’encens!
«Ô mon Roi, enchaîna-t-il néanmoins, je vous z-ai apporté de l’or. » Il insista sur le mot or et fusilla le premier mage du regard, essayant de lui faire comprendre qu’il l’avait sorti du pétrin.
«Ô mon Roi, termina le troisième, je vous z-apporte de la myrrhe.»
Les spectateurs, déjà impressionnés par l’arrivée des mages et l’apparition de l’étoile, le furent encore plus quand ils virent les anges descendre du second étage en chantant
0 nuit de paix, alto et soprano! Du chant presque aussi beau que celui de la chorale de la paroisse! Spontanément, les parents unirent leurs voix à celles des enfants. Même le curé Grenier avait serré son mouchoir et chantait allègrement. Les dernières notes moururent sous les applaudissements et les sifflements. Les enfants saluèrent, le rouge aux joues et le sourire aux lèvres. Les applaudissements redoublèrent. Les élèves saluèrent plus bas. Emilie ferma le rideau et dut calmer ceux qui auraient voulu continuer les saluts. Elle leur rappela qu’ils devaient se hâter pour les déclamations. Les enfants, grisés par le succès, avaient complètement oublié cette seconde moitié du spectacle. Ils s’affolèrent, convaincus de ne plus savoir un seul mot. Émilie leur demanda de faire de leur mieux. Elle tira le rideau et présenta le premier élève. Celui-ci s’avança et commença sa déclamation qui parlait de Saint-Nicholas et d’étrennes. Le second enchaîna, sans accrochage. Il parla des pauvres qui avaient faim et froid mais qui se réjouissaient dans leur foi.
Les déclamations terminées, Émilie, gorgée de fierté, invita tous ses élèves à revenir saluer. Ils ne se firent pas prier, se bousculant même un peu pour être à l’avant. Le curé Grenier se leva. Il félicita tous les enfants puis les bénit — sauf Charlotte qui venait de sortir en douceur — les remerciant au nom de l’Enfant-Dieu pour le magnifique travail qu’ils avaient accompli. Dès qu’il se fut rassis, un des commissaires se leva à son tour, se dirigea à l’avant de la classe — ce que n’avait pas fait le curé — et invita Émilie à le rejoindre, ce qu’elle fit.
«Quand on est un commissaire, il y a des choses qu’on sait. Ça fait que j’ai dit ce que je savais à mon gars pour que lui le dise aux élèves. Vous me permettrez, astheure, mam’selle Bordeleau, de leur laisser la parole.»
Émilie s’étonna de voir les enfants se regrouper devant Éva. Ils déclamèrent à l’unisson des vœux de Joyeux anniversaire.Charlotte s’approcha et lui offrit un bouquet de fleurs artificielles que les enfants avaient confectionnées avec du papier, de la broche et des grains séchés. Émilie les accepta, embrassa ses élèves du regard puis se retourna vers les parents. Manifestement, elle était la seule à ne pas avoir été dans le secret. Les adultes riaient aux éclats. Les enfants aussi. Émilie les remercia tous puis éclata en sanglots. Elle sécha ses larmes, furieuse contre elle-même, n’excusa on accusant la fatigue et l’émotion pour son manque de retenue et invita tout le monde à déguster les gâteries que les enfants avaient cuisinées eux-mêmes sur le poêle de l’école.
La
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