Les Filles De Caleb
convoqués pour sept heures, ce qui leur laissait amplement le temps de souper et de finir la traite des vaches. L’école fut vite remplie de visages souriants et d’éclats de rire. Emilie s’affairait avec trois de ses élèves, ses placiers, à installer tout le monde aussi confortablement que possible. Mais devant l’affluence, elle dut se résigner à faire asseoir les plus jeunes par terre. Ses élèves étaient tous cachés. Un groupe derrière les draps qui faisaient office de rideau de scène, un autre groupe dans ses quartiers au second. La consigne était qu’ils devaient garder le silence mais Emilie entendait leurs chuchotements incessants.
«Hey ! Monsieur le curé est là!
— C’est même pas vrai, espèce de menteuse!
— Oui, c’est vrai! Regarde toi-même si tu me crois pas!»
De temps en temps, Emilie passait derrière le rideau ou se montrait la tête à l’étage pour leur demander de baisser le ton. Lors d’une de ses exhortations au calme, Emilie entendit un silence parcourir la classe de l’arrière à l’avant. Elle fronça les sourcils et entrouvrit discrètement le rideau. Elle ne mit que quelques secondes pour comprendre. Le grand Joachim venait de faire son entrée, flanqué de ses parents. Emilie se précipita au devant du rideau, priant le ciel que Joachim ne semât pas la pagaille. Elle retint son souffle, retrouva sa contenance et le gratifia d’un aimable sourire. Elle avait sauvé la face. Pour se distraire, elle s’amusa à compter l’assistance. Il y avait soixante-dix-sept personnes. Elle alla jeter un coup d’œil aux fenêtres pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’autres traîneaux ou carrioles en vue. N’en voyant plus, elle prit toutes les lampes de la classe et les approcha du rideau de scène. Encore une fois, le silence se fit. Elle monta à l’étage pour rappeler aux enfants d’être bien tranquilles jusqu’à ce que vienne leur tour. La petite Charlotte tremblait de la tête aux pieds. Elle chuchota à l’oreille d’Emilie qu’elle avait bien fait son pipi mais qu’elle croyait qu’il lui fallait en faire un autre. Emilie la rassura en lui disant que ce n’était que la nervosité. Elle souhaita bonne chance à tous et redescendit ouvrir le rideau. Un grand Ho! suivi d’une salve d’applaudissements salua le décor. En entendant cet accueil, les enfants se donnèrent des coups de coude. Au signe d’Emilie, ceux qui faisaient partie du chœur de chant, habillés en bergers, vinrent se placer à la droite de la crèche. Il entamèrent un Venez divin Messie avec tellement d’enthousiasme qu’ils forcèrent leurs voix. Emilie les arrêta immédiatement, leur donna la note et ils reprirent le cantique sans se tromper. Emilie leur sourit sa satisfaction. Le chant terminé, les enfants se retirèrent comme de vrais bergers, s’appuyant sur leurs cannes et suivant un invisible troupeau de moutons. Le public applaudit mais cessa dès qu’il vit Joseph et Marie faire leur entrée.
«Haaaaaa! Je n’en peux plus, Joseph. Je crois que mon enfant va naître. Il nous faudra vite trouver r-un n-abri car le froid tombe ra-pi-de-ment et la nuit z-aussi.
— Re-po-se-toi ici, Marie, pendant que je vais z-à l’auberge demander r-asile.»
Joseph installa Marie sur un tas de foin et disparut de la scène. On pouvait entendre battre les paupières tant le silence était complet. Emilie fît signe à Joseph qu’il pouvait revenir.
«Hélas!...Hélas! Il n’y a plus z-une seule chambre de libre. Nous devrons z-aller dans la vallée.»
Le curé Grenier feignit de tousser pour étouffer ses rires, sortit un mouchoir et s’essuya les yeux.
«Ô mon pauvre enfant qui naîtra sans z-un toit.
— Ne t’inquiète pas, Marie, nous...euh...nous...»
Joseph désespéré se tourna vers Emilie.
«Nous quoi? demanda-t-il
— Nous avons Dieu...répondit Emilie assez fort pour qu’il l’entende.
— Ah! oui!...Nous z-avons Dieu dans nos cœurs et notre foi nous guidera vers le lieu qu’il a choisi pour la naissance de son fils.»
Joseph aida Marie à se relever et ensemble ils marchèrent jusqu’au centre de la crèche.
«Je crois qu’il nous faudra dormir r-ici, mon mari, car l’enfant veut naître.»
Marie fit dos aux spectateurs, retira le coussin qui la grossissait, le fourra sous la paille et découvrit la poupée emmitouflée qu’on lui avait cachée
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