Les Filles De Caleb
répondait toujours qu’elle «se débrouillait, merci». Ovide vint la trouver à son tour et commença à empiler les chaudières fraîchement lavées. Emilie ne l’éloigna pas. Ovila en prit ombrage. Emilie comprit qu’elle l’avait blessé et lui tapota la joue. Ovila mit sa main sur celle d’Émilie, l’y laissa quelques secondes, puis l’arracha en lui disant qu’il détestait être traité comme un enfant. Émilie rougit et s’essuya la main sur une guenille mouillée. Ovide, témoin de la scène, pria Ovila de s’excuser. Émilie s’interposa, alléguant qu’Ovila avait raison et qu’elle avait eu tort. Elle pria les deux frères de la laisser seule, car ils retardaient son travail... Les frères sortirent en se jetant des regards furieux. Émilie soupira, sourit, haussa les épaules et se remit à la tâche. Une mèche de cheveux lui tombait sur le front dès qu’elle se penchait au-dessus des cuves. Elle la repoussait avec de plus en plus d’impatience.
À la nuit tombante, tous redescendirent en direction du Bourdais. Seuls Lazare et ses parents utilisèrent le traîneau, les autres préférant marcher. Émilie, flanquéed’Ovide et d’Ovila, s’obstinait à parler avec Rosée qui marchait devant eux. Le petit Émile la regardait et Émilie comprit qu’il faisait des efforts pour ne pas rire.
«Pourquoi est-ce que tu me regardes en riant, Ti-Ton?
— C’est à cause de votre couette, répondit-il en éclatant. Est toute raide!»
Émilie porta la main à son front et comprit que la mèche rebelle tenait droit dans les airs, bien raidie par l’eau d’érable dans laquelle elle s’était trempé les mains toute la journée. Gênée, elle essaya de la replacer, mais n’y réussit pas. Ti-Ton riait de plus en plus. Les autres enfants, qui avaient feint de ne rien voir, ne purent contenir leur hilarité facilitée par la fatigue. Même Ovide et Ovila cessèrent de se mordre les lèvres. Il n’y eut qu’Émilie qui ne desserra pas les dents. Elle accéléra le pas. Bientôt, seuls Ovila et Ovide purent la suivre. Elle ne leur adressa pas la parole. Elle les remercia quand ils l’invitèrent à la maison, disant qu’elle préférait rentrer immédiatement à l’école et leur refusa le privilège de la raccompagner.
Elle claqua la porte, se précipita à l’étage, prit son miroir et ragea.
«J’ai l’air d’une vraie folle. Je suis sûre qu’il doit encore rire de moi. Astheure il va falloir que je me lave la tête.»
Elle s’exécuta et dut attendre, avant d’aller dormir, que ses cheveux fussent à peu près secs. Elle détestait se laver la tête le soir, son épaisse chevelure mettant des heures à sécher.
Émilie termina ses classes le mercredi. Son père vint la chercher afin qu’elle puisse être dans sa famille pour les jours saints et Pâques. Elle lui parla des événements
importants, raconta tonte l’histoire de Lazare, même si elle l’avait déjà décrite dans une lettre. Elle évita cependant de parler de l’histoire des commissaires et de la «couette sucrée».
Le congé de Pâques lui sembla interminable. Émilie avait hâte de rentrer «chez elle». Hâte de retrouver ses livres et ses cahiers. Hâte de mettre du bois dans son poêle pour la nuit. L’hiver avait maintenant évacué les lieux pour laisser entrer le printemps à pleines portes. Émilie demanda à son père de la conduire à Saint-Tite deux jours plus tôt que prévu.
«Est-ce que tu t’ennuierais dans ta propre maison, ma fille? lui demanda-t-il, l’air quelque peu assombri.
— C’est pas ça, pâpâ. C’est que j’ai hâte d’arriver, de laver mes fenêtres, de faire aérer l’école, de nettoyer mon chiffonnier, de préparer mes classes pour le mois de mai, de voir ce que j’vas faire pour que les enfants soient prêts quand l’inspecteur va venir... »
Plus elle parlait, plus elle décrivait tout le travail qui l’attendait, plus l’impatience la gagnait.
«Bon, bon, pas besoin de me faire un dessin. Si ça fait ton bonheur pis si le temps se remet au beau demain, on va atteler. Une chance pour toi que les chemins sont carrossables. Faudrait pas que la pluie se remette à tomber cette nuit. »
Emilie embrassa son père et monta boucler ses valises qu’elle avait discrètement commencé à remplir de vêtements plus saisonniers. Caleb regardait au plafond, l’oreille attentive, essayant, au son, d’imaginer ce
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