Les Filles De Caleb
qu’elle faisait.
«Est bien changée Émilie, lui dit Célina.
— Tu trouves? lui demanda Caleb sans conviction.
— D’abord est grande sans bon sens. Elle doit bien mesurer cinq pieds cinq, cinq pieds six astheure. On dirait qu’elle pousse encore. Ensuite, elle parle pus de la même manière. Elle trouve toujours un mot compliqué pour dire une affaire simple. Non, Émilie est bien changée. Je l’ai jamais vue mettre autant de temps pour se pomponner le matin.
— Ça doit être une habitude d’école. Après tout, il faut qu’elle donne le bon exemple sur la propreté.»
Célina réfléchit quelque temps à la remarque de son mari. Elle enchaîna enfin.
«Moi, je trouve que notre fille a l’air d’avoir un soupirant.
— Quossé que tu vas chercher là?...D’où c’est que tu veux que ça soupire?
— Voyons donc, Caleb, tu sais que les Pronovost ont plusieurs garçons.
— C’est des élèves à Émilie, sa mère.
— Sauf Ovide pis Edmond...
— C’est vrai qu’eux autres... Mais tu sais comme moi que notre fille sort pas le soir. Pis personne vient à l’école le soir non plus.
— Non, mais Émilie va chez les Pronovost... voir Lazare, bien entendu.»
Ils discutèrent ainsi à bâtons rompus sur l’éventualité d’une amourette entre leur fille et l’aîné des Pronovost. Célina n’appréciait pas l’hypothèse. Une institutrice ne devait pas entretenir de relations suivies avec un jeune homme. Elle ne voulait pas qu’Émilie soit la proie des ragots. Elle voulait encore moins qu’elle perde son emploi. Calebessaya de la calmer, mais en son for intérieur, il nourrissait les mêmes craintes que sa femme.
Emilie vint leur tenir compagnie et s’étonna du silence qu’ils alimentaient de leurs regards et de leurs soupirs. Elle sentait vaguement qu’elle devait être au cœur de leurs préoccupations. Elle leur demanda enfin ce qui les tracassait et Caleb lui rapporta, en termes quelque peu retouchés, la conversation que lui et sa femme avaient eue. Émilie éclata de rire.
«Ovide Pronovost? Vous voulez rire! C’est un grand indépendant qui pense que toutes les filles veulent lui mettre la corde au cou. Non, Ovide Pronovost, c’est pas un gars à mon goût.»
Caleb et Célina trouvèrent qu’elle avait mis beaucoup trop d’empressement à se défendre.
7.
La classe était en émoi. Les commissaires avaient avisé Emilie que l’inspecteur ferait sa visite le trois juin. La journée fatidique était arrivée. Emilie avait écrit une note aux parents leur demandant d’endimancher leurs enfants. L’inspecteur ne faisait qu’une visite annuelle et Emilie, qui terminait sa première année d’enseignement, se devait de démontrer ses talents d’enseignante si elle voulait être réembauchée l’année suivante. La concurrence était forte et elle savait que quelques jeunes filles de Saint-Tite n’auraient pas dédaigné d’enseigner à l’école du Bourdais.
Les enfants avaient passé toute la veille à astiquer les locaux. Pour ne pas perdre de temps, Emilie leur avait posé en même temps questions de catéchisme, de grammaire, d’Histoire sainte, de calcul. Une grande révision entre l’époussetage et le balayage.
L’inspecteur arriva deux heures avant la fin de la journée. Les vêtements étaient un peu défraîchis, les visages moins propres, les mains plus graisseuses. Il demanda à Emilie son cahier d’appel. Puis, sans même s’occuper des enfants, il prit connaissance de toutes les notes et remarques qu’elle avait inscrites de sa main la plus appliquée.
Les enfants se tenaient droit. Émilie s’excusa auprès de l’inspecteur, descendit de sa tribune et alla rappeler à
Charlotte que c’était l’heure, Quand Charlotte revint en classe, l’inspecteur n’avait pas encore terminé sa lecture. Les enfants commençaient à s’agiter sur leurs chaises. Emilie essayait de les calmer en souriant d’un sourire un tantinet crispé.
La visite de l’inspecteur faisait habituellement trembler les enfants, surtout les premiers de classe qui étaient interrogés plus souvent qu’à leur tour, histoire de montrer le grand talent de l’institutrice — histoire aussi, sans doute, de ne pas humilier inutilement les autres. L’inspecteur referma le grand cahier et leva enfin les yeux. C’était la première fois
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